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qu’à moitié. Combien il se fût mieux trouvé, et combien il eût été plus conforme à sa nature droite et fière, d’accepter franchement la liberté et de relever au nom de l’Université le défi de la concurrence ! Mais il faut croire que l’autorisation de suivre ce qui eût été son penchant lui fut refusée, car il finit par opposer à la pétition le refus le plus positif et alla jusqu’à demander à l’assemblée d’écarter le sujet même du débat par la voie qu’on appelle, dans le langage parlementaire, la question préalable. Cette forme blessante, qui enlevait tout espoir, même à l’avenir, irrita vivement les amis de la liberté qui lui imputèrent la rigueur de ce déni de justice : en sorte qu’il descendit de la tribune n’ayant, au fond, satisfait personne. Une majorité obtenue par complaisance plutôt que par conviction ne raffermit nullement sa situation ministérielle, qui fut très compromise, au contraire, par la malveillance visible de ses collègues, dont aucun ne s’était soucié de lui venir en aide et ne lui tendit même la main quand il regagna son banc.

La vérité est qu’il était absolument seul dans le conseil dont il faisait partie, ses velléités libérales ne trouvant d’appui que dans la faveur et l’amitié personnelle de l’Empereur. Nous eûmes dans cette circonstance même la preuve de cet isolement. Pour nous consoler, nous autres défenseurs éconduits de la liberté d’enseignement supérieur, il consentit à laisser organiser, sous son bienveillant patronage, une série de conférences publiques, qui, par leurs sujets et leur caractère, pouvaient ressembler à des cours de facultés libres. Je m’inscrivis pour prendre part à une d’entre elles, celle qui fut inaugurée avec un certain éclat par M. Saint-Marc Girardin, et nous avions préparé et même publié, notre regretté confrère et mon cher ami, M. Cochin et moi, un programme de plusieurs leçons que nous comptions faire alternativement. Aucune objection ne nous était venue du ministère de l’Instruction publique ; mais, à la dernière heure, le ministère de l’Intérieur envoya une interdiction formelle, et nos affiches déjà posées furent impitoyablement lacérées. M. Duruy eut l’obligeance de nous faire venir pour nous expliquer ce revirement qui, effectivement, nous avait surpris. « Que voulez-vous, messieurs ? nous dit-il avec un aimable embarras, l’absolu n’est pas de ce monde. » A quoi M. Cochin lui répondit : « Excusez-moi, monsieur le ministre, il me semble qu’il y a encore quelque chose d’absolu ici-bas, c’est l’autorité de la police. »