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française, le secrétaire perpétuel, M. Villemain, disait seulement que c’était une consciencieuse étude préparée par un habile professeur de lycée. L’avancement de leur auteur dans la carrière de l’enseignement n’était pas non plus bien rapide, puisque, parvenu à la pleine maturité de l’âge, il n’avait fait que monter de la seconde à la première classe du professorat. Il ne se plaignais pourtant de rien, laissait le temps couler dans des occupations qui lui étaient chères, sans impatience, sans regret, sans autre délassement que celui qu’il pouvait trouver dans le charme des affections de famille, quand lui advint ce que M. Jules Simon appelle la grande, l’inconcevable surprise de sa vie. Il entend par là les relations imprévues qui, établies sans avoir été recherchées entre le modeste érudit et le maître tout-puissant que la France venait de se donner, allaient devenir l’origine d’une fortune à laquelle il n’avait jamais songé. L’occasion qui y donna lieu n’avait pas par elle-même, en apparence, une grande importance. L’Empereur, dans les momens de liberté que lui laissaient les affaires de l’État, préparait cette Vie de César, dont, à travers les péripéties des dernières années de son règne, il n’a pu livrer au public que la première partie : il cherchait à s’aider des lumières de ceux qui passaient pour avoir étudié à fond l’histoire romaine : il était naturel qu’en cette qualité, M. Duruy fût un des premiers appelés. Mais ce qui l’était moins, c’est que non seulement ses conseils fussent bien écoutés, mais que le conseiller lui-même fût assez rapidement apprécié pour que le prince n’hésitât pas d’abord à lui faire franchir tous les degrés de l’enseignement en le nommant, en 1861, maître de conférences à l’Ecole normale et inspecteur d’académie, en 1862, chargé du cours d’histoire à l’Ecole polytechnique et inspecteur général, puis à l’attacher à sa personne en le faisant entrer dans son secrétariat et finalement (pour parler comme Saint-Simon) à le bombarder ministre de l’instruction publique en 1863 : le tout dans un espace de moins de quatre années.

M. Jules Simon a raison : l’étonnement fut grand et assez naturel, il en faut convenir, chez ceux qui connaissaient et qui partageaient les sentimens dont M. Duruy n’avait pas fait mystère. Bien qu’il n’eût jamais prétendu à un rôle politique, et qu’il n’eût aucune raison personnelle pour être attaché à la constitution républicaine de 1848, il n’avait pas caché sa déplaisance pour le coup d’État du Deux Décembre qui y avait mis fin : il avait opposé très ouvertement son vote négatif aux plébiscites qui fondèrent