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REVUE. — CHRONIQUE.

beaucoup plus loin qu’ils ne veulent, et qu’ils ne croient aller. Quelle sera leur surprise et leur douleur lorsqu’ils s’apercevront du chemin parcouru, et qu’ils se trouveront entourés d’ennemis ! Déjà l’Église étend sa main souple et impérieuse sur le domaine qui appartient à César. Déjà la réaction pénètre avec elle dans la place que nos pères avaient si bien gardée. Il y a là une grande conspiration : aveugle qui ne le voit pas ! Les radicaux la voient et ils la dénoncent, tantôt avec une épouvante tapageuse, tantôt avec des accens plaintifs. Ils annoncent que les élections prochaines amèneront à la Chambre une majorité cléricale et réactionnaire, devant laquelle les vrais républicains se verront obligés à une concentration de toutes leurs forces plus étroite que jamais. Cette dernière perspective ne devrait pourtant pas leur déplaire.

C’est ainsi que la campagne électorale se prépare, ou plutôt se poursuit, car elle est déjà commencée. Il faut sans doute en conclure que les radicaux n’ont pas une plate-forme dont la solidité leur paraisse à toute épreuve. L’impôt sur le revenu ne leur suffit plus, et, en effet, il a perdu quelque peu de son action sur les masses populaires. M. Doumer a emporté en Extrême-Orient le secret de s’en servir pour les agiter : depuis son départ, le prestige en a sensiblement diminué. Cet impôt semblait être le lien des radicaux et des socialistes. Entre des mains adroites, il aurait pu servir de base commune aux programmes des uns et des autres, et devenir le point de ralliement accepté par tous. Peut-être en sera-t-il ainsi, en fin de compte. Pour le moment, nous l’avons dit, radicaux et socialistes s’en vont dans des sens différens, sauf à se retrouver plus tard. Les socialistes annoncent volontiers de grandes conquêtes ; ils se disent sûrs de revenir à la Chambre future en nombre très augmenté. Les radicaux montrent moins de confiance, ce qui est naturel, puisque leur tactique est de faire peur aux républicains sur les dangers que court la République. Mais ils ne doutent pas que les éliminations du suffrage universel ne portent de préférence sur les modérés. Ces prédictions sont, de part et d’autre, trop intéressées pour qu’on y ajoute une grande confiance, et, pour le même motif, nous nous dispenserons d’en faire. Personne ne peut dire ce que sera la Chambre de 1898. Celle d’aujourd’hui, à l’ouverture de sa session, le 11 janvier, a eu pour président d’âge un radical de vieille roche, M. Boysset. Il n’a pas présenté la situation en beau, oh non ! cependant, il a annoncé à ses collègues, — est-ce un vœu de jour de l’an ? — que la plupart d’entre eux conserveraient leurs sièges. Et peut-être a-t-il raison. Malgré l’ardeur qu’on lui attribue d’avance, la