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REVUE. — CHRONIQUE.

prolongent au point de s’éterniser. Aucune méthode n’y préside. L’ordre du jour, soumis une à improvisation continuelle sous prétexte que la Chambre en est toujours maîtresse, change d’une séance à l’autre. Les débats d’affaires tournent en interpellations, à propos de tout, à propos de rien. Le temps est gaspillé sans profit pour personne, excepté pour les partis qui ont intérêt à dire qu’on ne sait pas l’employer ou qu’on l’emploie mal, et que la majorité est incapable, stérile, impuissante. Le rendement de la machine est en disproportion prodigieuse avec l’effort qu’elle dépense, et même avec le bruit qu’elle fait, et qu’on n’écoute plus guère. C’est à cela surtout qu’il faudrait porter remède, et nous ne voyons pas qu’on s’en préoccupe beaucoup.

Les radicaux cherchent à tourner d’un autre côté les préoccupations de la majorité. À les entendre, la République est en danger, non pas pour les motifs que nous venons d’indiquer, mais parce qu’elle est livrée, par la faiblesse des uns et par la trahison des autres, aux influences cléricales et réactionnaires. On cherche un reproche à faire à M. Méline ; on n’a encore trouvé que celui-là. Comme il ne gouverne pas avec les radicaux, on l’accuse de gouverner avec la droite, ou même pour la droite, à laquelle il fait, paraît-il, des concessions affligeantes. Le malheur est qu’on ne peut pas dire lesquelles : toutes les fois que la question a été portée à la tribune, elle est restée sans réponse. Il est certain que la droite n’attaquant plus aujourd’hui le gouvernement comme elle le faisait autrefois, les nécessités de la défense ne sont plus les mêmes. Bien que la pacification ne soit pas encore complète, elle a fait d’incontestables progrès. La lutte religieuse, qui a été pendant plusieurs années si ardente, s’est ralentie. La génération nouvelle ne partage pas les passions qui ont enfiévré la précédente ; elle ne les comprend même plus très bien. Qu’on s’en réjouisse ou qu’on s’en afflige, c’est un fait qu’on ne saurait nier. Les générations se suivent et ne se ressemblent pas, ce qui est peut-être heureux, ne fût-ce que pour enlever à l’histoire une ennuyeuse monotonie. Les intérêts qui s’emparent des esprits ne sont plus les mêmes après un quart de siècle. Les dangers n’apparaissent pas éternellement du même côté. À coup sûr le fameux mot : « Le cléricalisme, voilà l’ennemi ! » provoquerait aujourd’hui encore plus d’étonnement que jadis il n’a soulevé de colères. Il en est de même du péril royaliste ou impérialiste. Pendant plusieurs années, la République a dû lutter pour l’existence ; personne ne la menace plus aujourd’hui, et l’héritier de nos rois, dans une lettre récente, la première lettre d’homme fait qu’il