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injustement, ait été ingouvernable. On a dit qu’elle n’avait pas de majorité. Elle en avait une, au contraire, et il serait difficile de le nier aujourd’hui, puisque voilà vingt mois et plus qu’elle soutient le ministère Méline ; mais la vérité, — peut-être ressemble-t-elle à un paradoxe, — est que cette Chambre a été merveilleusement ministérielle. On pourrait presque démontrer qu’elle n’a renversé aucun ministère. La plupart de ceux qui se sont succédé depuis les élections de 1893, s’en sont allés d’eux-mêmes sans qu’on ait bien su pourquoi, et ils ont manqué à la Chambre plus que la Chambre ne leur a manqué. Seul, le ministère Bourgeois a été mis en minorité avec obstination, mais par le Sénat. La Chambre, qui le supportait avec impatience, n’a pas osé le renverser de ses propres mains. Ce serait une histoire curieuse à faire que celle des quatre ou cinq derniers cabinets. Le premier avait pour chef M. Charles Dupuy ; il avait présidé aux élections. Dès l’ouverture de la Chambre, M. Dupuy a lu une déclaration ministérielle qui a été couverte d’applaudissemens. Mais on savait qu’une harmonie parfaite ne régnait pas entre les ministres, et qu’une crise intérieure, qui n’avait pas encore eu le temps de se dénouer, avait déjà rompu l’homogénéité du cabinet. Plusieurs ministres avaient annoncé dans les couloirs qu’ils étaient démissionnaires. Il en résultait une situation fausse, et dont la fausseté est apparue si évidente que M. Dupuy s’est laissé choir sans qu’aucun vote ait été émis contre lui. Il n’a pas été victime d’une interpellation : tout au contraire, il est parti parce que l’extrême gauche refusait de l’interpeller, n’étant pas bien sûre, disait-elle, qu’il fût encore en vie. Il s’est empressé de partager ce doute. M. Dupuy avait si bien conservé sa confiance que, le lendemain de sa chute, ou plutôt de sa démission spontanée, la Chambre l’a choisi pour président. M. Casimir-Perier lui a succédé, et a gouverné six mois avec beaucoup d’éclat. Tout d’un coup, à propos d’une interpellation spéciale, où le ministre des travaux publics était seul en cause et où lui-même n’avait pas ouvert la bouche, il s’est retiré. Rien ne l’y obligeait : il avait été battu aussi peu que possible, sur une simple question de priorité donnée à un ordre du jour. M. Dupuy est alors descendu du fauteuil de la présidence de la Chambre pour reprendre la présidence du Conseil, et la Chambre a manifesté sa fidélité à M. Casimir-Perier, comme elle l’avait manifestée quelque temps auparavant à M. Dupuy, en l’appelant à son tour à la direction de ses travaux. Pourquoi M. Dupuy, redevenu premier ministre, a-t-il cessé de l’être, au bout de quelques mois ? À coup sûr, ce n’a pas été la faute du parlement. On