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côté, tant M. Jaurès compte sur l’efficacité de sa rhétorique, M. Millerand sur celle de sa dialectique, et M. Jules Guesde sur celle de sa métaphysique. Les radicaux y comptent moins. S’ils croyaient à l’avènement prochain du socialisme, qui les empêcherait, sur le terrain électoral, de tendre la main aux adeptes du parti ? Ce ne serait pas un scrupule de conscience, ni même une répugnance doctrinale, puisqu’ils n’ont pas éprouvé ces scrupules à la Chambre. Ce qu’ils ont fait au Palais-Bourbon, ils pourraient le faire ailleurs. Au surplus, nous ne sommes pas bien sûrs qu’ils ne le fassent pas, sur tel ou tel point du territoire, s’ils y trouvent quelque intérêt. En attendant, on échange les propos les plus aigres. M. Bourgeois n’hésite pas à condamner le collectivisme et à prendre la défense de la propriété individuelle ; les collectivistes lui répondent en l’accusant d’avoir montré, au cours de son ministère, et encore plus au moment de sa chute, la plus coupable faiblesse de caractère, et d’avoir finalement commis une trahison véritable. Un député socialiste de Marseille, M. Carnaud, a tenu à Perpignan une réunion publique où s’étaient rendus tous les radicaux de la région. Ils se faisaient d’avance un plaisir d’entendre dire du mal de M. Méline et de ses collègues. Quelle n’a pas été leur surprise dès les premières paroles de M. Carnaud ? L’orateur marseillais, au lieu d’attaquer M. Méline, s’est acharné contre M. Bourgeois. Les radicaux indignés ont quitté la salle en faisant claquer les portes. Ailleurs, la bataille est restée indécise entre radicaux et socialistes, mais il y a eu bataille. C’est à peine si M. Lockroy a pu se faire entendre à Romans. Les socialistes lui demandaient ce qu’il avait fait pour les prolétaires pendant sa dernière incarnation ministérielle. La discorde est donc au camp d’Agramant : se maintiendra-t-elle jusqu’aux élections ?

Car il n’est plus question d’autre chose. La Chambre se survit : on n’en attend plus rien, on se demande même si elle votera le budget. L’opposition fera tout son possible pour l’en empêcher. Elle a déjà montré son habileté obstructionniste pendant les deux derniers mois, et tout porte à croire qu’elle se surpassera encore pendant les deux mois prochains. Se rappelle-t-on le début de la discussion du budget ? Il avait été si facile et si rapide que l’optimisme était à l’ordre du jour. Le gouvernement parlait avec le plus grand sérieux de faire voter en janvier et février un certain nombre de lois d’affaires que le pays attend avec impatience. Nous nous sommes déliés de ces premières apparences ; nous avons émis des doutes sur une sagesse qui paraissait trop grande pour être durable ; l’événement nous a donné raison. L’opposition n’a pas tardé, en effet, à reprendre son rôle naturel, qui