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d’inventer, d’organiser et de faire durer un nouveau régime politique, ce sont autant d’élémens qu’a laissés dans l’ombre et considérés comme négligeables cet historien qu’un critique rapprochait hier de Saint-Simon et de Michelet. Le livre fermé, nous en emportons cette impression que le portrait de l’homme d’État du second empire reste à faire. L’auteur du Nabab présente son Jansoulet comme un barbare candide, victime de sa bonté et de sa naïveté, proie livrée à la merci de tous les exploiteurs. En sorte que nous nous demandons d’où peut lui venir son immense fortune, et si c’est à force de candeur qu’on a coutume d’amasser tant d’or. Et lorsque Jansoulet est tombé, foudroyé par l’apoplexie, il y a sur la terre une dupe de moins, mais le portrait du remueur de millions reste à faire. Nous voyons bien que Numa Roumestan est un jouisseur sans méchanceté ; mais on a oublié de nous montrer en lui le chef d’un parti politique. Christian II d’Illyrie fait la fête comme n’importe quel habitué du Grand Club ; et en vérité nous cherchons à quels signes on pourrait reconnaître en lui le souverain détrôné. Et encore nous comptons les victimes que l’ait le fanatisme de Mme Autheman ; ce sont des filles arrachées à leurs mères, c’est un mari broyé sous les roues d’une locomotive ; mais après cette hécatombe, l’étude du prosélytisme reste si bien à faire, qu’elle n’a même pas été tentée par l’auteur. C’est ainsi que, lorsqu’il s’agit de dépasser l’apparence extérieure, et par un effort d’analyse de pénétrer dans une âme, l’art de Daudet se trouve en défaut.

La sensibilité ne consiste pas seulement à subir l’empreinte des choses ; elle consiste encore à recevoir de leur contact une émotion. Cette sensibilité vibrante, frémissante, douloureuse, Daudet en a été doué d’une façon presque maladive. Il sait par combien de points la vie peut nous faire souffrir et que toutes ces espérances où elle nous élève ne sont que pour rendre notre chute plus lourde. Nul n’a traduit plus souvent, sous des formes plus variées et plus saisissantes cette impression : celle d’un espoir trompé, d’une attente frustrée, d’une déception. Sidonie, depuis qu’elle est Mme Risler, se doit à elle-même d’avoir un « jour ». C’est la preuve qu’elle est du monde. Comme ces dames, elle recevra. Donc elle prépare de longue date sa réception. L’escalier est plein de fleurs, le salon est paré, Sidonie est sous les armes. Des voitures s’arrêtent, des visiteuses en descendent ; mais elles ne viennent pas chez Sidonie. Les heures passent, elles sont passées. Il ne viendra plus personne. Jansoulet va donner dans son château de Saint-Romans des fêtes magnifiques en l’honneur du bey : il est venu de Paris toute une troupe de comédiens, il est venu de