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a mis l’homme du jour, raconté le scandale récent. Il a fait des portraits. On a reconnu les originaux. Le tapage que soulevèrent, lorsqu’ils parurent, quelques-uns des livres de Daudet est aujourd’hui apaisé et oublié. Mais ce fut alors le grand jeu des réclamations et des protestations. L’auteur s’est défendu, comme c’est l’usage, en citant Lesage ; ce qui est une façon d’avouer. Ailleurs il reconnaît que, lorsqu’il emprunte à la vie un personnage, il faut qu’il lui conserve son attitude, son geste, jusqu’à son nom. L’image, telle qu’il l’a reçue, forme pour lui un tout indissoluble. Elle le tyrannise.

Or il arrive que cette vive impression suffise pour nous faire connaître les êtres qui la produisent sur nous. Il ne manque pas de gens qu’on connaît pour les avoir une fois aperçus dans le cadre de leur vie habituelle, ou pour avoir causé une fois avec eux. Ils sont au fond d’eux-mêmes précisément tels qu’ils nous apparaissent. Toutes leurs pensées ne sont dominées que par une seule préoccupation, tout leur caractère tient dans une manie, se révèle par une attitude, ou par un geste. Ces natures simples, Daudet les a bien vues et il les a marquées d’un trait sûr. Le Méridional est tout en surface, bavard, hâbleur, prometteur, et son pire défaut est justement qu’il n’y ait rien sous cette surface. C’est pour cela que Daudet a si bien attrapé la ressemblance de ses compatriotes. Tartarin n’est une caricature que si l’on regarde aux moyens d’expression ; prise en elle-même et dans ses traits essentiels l’étude est juste et non point outrée. Jansoulet et Numa, en tant qu’ils ne sont que des types du Midi, sont aussi heureusement peints ; c’est par ailleurs, et si on les considère comme expressifs non plus de leur province, mais de leur condition, qu’ils laissent à désirer. Cet imbécile de Valmajour dans sa double fatuité de bellâtre et de virtuose, est une silhouette d’un joli dessin. Mais c’est encore la paysanne de là-bas que Daudet a le mieux su montrer, active, économe, âpre au gain, et maigre, et desséchée et brûlée, trottinant et sautillant dans une démarche saccadée de sauterelle. Delobelle est moins qu’un caractère : c’est un rôle. Les sentimens vrais, une sorte de bonhomie naturelle, la faculté d’être ému par une douleur réelle, tout a disparu sous l’affectation d’un perpétuel cabotinage. Monpavon est un autre comédien, ayant même superstition de la tenue : c’est un plastron de chemise sous lequel la poitrine bombe et ne bat pas… Ces figures peuvent bien n’être pas au premier plan et ne pas avoir la place d’honneur dans l’œuvre du romancier : c’est à elles que va d’abord le regard, parce qu’elles ont le relief incomparable de la vie.

C’est par-là aussi que Daudet a pu réussir quelques portraits de