le prendre pour « critérium » suprême de la vérité, — par cette très simple raison que le bon sens d’un siècle n’est plus le bon sens de l’autre siècle, — autant il est présomptueux de ne pas le consulter, imprudent de le dédaigner, et ruineux de le violer, — par cette autre très simple raison qu’il est un abrégé, un résumé de la sagesse et de l’expérience humaines, et qu’il y a par suite une impertinence assez ridicule à lui préférer toujours notre propre jugement et nos seules lumières. Descartes et les positivistes nous ont à coup sûr beaucoup trop « rationalisés ». Le sens commun est sans doute meilleur juge, en beaucoup de sujets, que ce que nous appelons superbement, et d’ailleurs vaguement, notre raison. Il faut donc avoir le souci, sinon la superstition, du bon sens ; il faut toujours compter avec lui, sinon toujours se reposer sur lui. Si un peu de réflexion éloigne du bon sens, beaucoup de réflexion y ramène ; et le triomphe suprême de la philosophie pourrait bien être, non pas de contredire, mais de justifier le sens commun, d’établir méthodiquement ce qu’il affirme instinctivement. Au début, « on en revient ; plus tard on y revient. »
Donc, nous n’adoptons aucune des théories un peu paradoxales qui précèdent. Ce que nous tenions à montrer, c’est que le rêve n’est pas si évidemment faux qu’on le dit d’habitude ; qu’il peut avoir sa réalité ; qu’on s’avance un peu trop en posant en principe qu’il est purement « intérieur » et chimérique. — Et, puisque nous parlons du bon sens, nous avons la prétention de le moins heurter ainsi qu’en « niant le monde extérieur. » — Nous avons établi qu’il n’y a pas de différence essentielle entre le rêve et la réalité. — Nous avons donc à choisir entre deux opinions : ou bien le rêve est une réalité ; ou bien la réalité est un rêve menteur. La première de ces opinions est hardie ; mais l’autre lest bien davantage. La première étonne le sens commun ; la seconde le révolte.
Il pourrait donc y avoir lieu de ne pas accepter trop aveuglément la théorie courante du rêve, telle que nous l’avons tout à l’heure résumée. Il n’est pas évident que le rêve soit une reproduction, un reflet, des événemens passés, des sensations de la veille. Il pourrait, à la rigueur, être une vision d’un genre à part, un contact réel avec des objets qui échappent aux sens. Je pense même que certains rêves étranges, certains cauchemars fantastiques, s’expliquent mal par de simples combinaisons de