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mais c’est là une interrogation purement verbale : ce sont des mots que je répète sans leur donner de sens ; je ne distingue pas réellement les deux états ; et ce qui le prouve, c’est qu’invariablement je me réponds à moi-même que je ne rêve pas, et que je suis en pleine réalité. — La veille connaît le rêve ; le rêve ignore la veille.

Voici la seconde différence : c’est la plus simple de toutes, la plus frappante, et c’est en somme la seule qui soit vraie, la précédente étant elle-même contenue dans celle-ci : on se réveille du rêve, on ne se réveille pas de la réalité. Voilà, évidemment, la vraie raison pour laquelle le sens commun oppose rêve et réalité ; voilà pourquoi nous prenons au sérieux la réalité, et non le rêve ; c’est qu’après le rêve, il y a le réveil ; alors, étant réveillés, c’est-à-dire ayant changé de point de vue, nous sourions du rêve dont nous sommes sortis, nous nous étonnons d’y avoir si pleinement cru, d’en avoir tant souffert, ou d’y avoir pris une joie si profonde et si suave. C’est à ce moment que le rêve, jugé du point de vue de l’homme éveillé, avec la raison de l’homme éveillé, suivant les principes de l’homme éveillé, nous paraît absurde ; c’est à ce moment que nous le jugeons décousu et incohérent ; que nous jugeons la suite même de nos divers rêves discontinue et incohérente. Au contraire, actuellement du moins, et dans les conditions normales de l’humanité, nous ne nous réveillons jamais de ce que nous appelons la veille. Nous ne passons jamais dans un autre état, où nous puissions, à son tour, juger la réalité de loin et de haut, comme elle juge le rêve. Si un rêve durait toute la vie, nous n’aurions même pas l’idée que nous sommes dupes : la réalité est exactement comme un rêve qui durerait toute la vie.

Ces deux différences sont réelles. Sont-elles importantes et radicales ? Elles expliquent l’opinion commune ; la justifient-elles ? Nous voyons bien pourquoi on oppose rêve et veille : mais est-il vraiment juste de les opposer ? — Et d’abord, tandis que, dans le rêve, j’ignore la veille, dans la veille, j’ai l’idée du rêve. Est-ce là un signe évident de l’hétérogénéité des deux états ? Je ne le crois pas. C’est certainement le signe qu’ils diffèrent « en degré », mais non pas qu’ils diffèrent « en nature ». Le fait est fréquent chez les sujets hypnotisés ; on les plonge dans un certain état somnambulique que l’on numérote : l’état 2 ; puis, les reprenant à cet état 2, on les magnétise de nouveau comme s’ils étaient éveillés, et on les fait ainsi passer dans un nouvel état