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problème se résout de lui-même ; les sens étant assoupis, les images qui naissent en nous, ne sont plus contredites par les sensations normales : voilà pourquoi nous les prenons pour des réalités. De plus, nos facultés réfléchies, étant, elles aussi, assoupies, ne peuvent pas opposer aux images, à défaut de sensations, des raisonnemens ou des souvenirs. De là, croyance absolue — aussi absolue que déraisonnable.

On le voit : l’opposition du rêve et de la veille est classique et consacrée : d’un côté, illusion, reflet confus, incohérence ; de l’autre, réalité solide et permanente. — Nous voudrions montrer ce qu’il y a d’artifice et de préjugé dans cette opposition. Nous voudrions montrer que rêve et réalité ne sont pas si nettement différens ; non pas du tout pour en conclure que la « réalité » est chimérique ; mais pour en conclure au moins qu’elle est passagère et provisoire — et qu’il y a tout lieu de s’attendre à un réveil.


I

Quelles sont donc les différences que l’on trouve si évidentes entre le rêve et la veille ?

En voici une première, dont il serait même inutile de parler, si, pour beaucoup de gens qui n’ont pas réfléchi à ces questions, elle n’était la principale. Il y a, disent-ils, un abîme entre le rêve et les perceptions de la veille. Pendant la veille, je m’assure de la réalité des objets : car mes sens se contrôlent les uns les autres. Je vois un arbre : si j’ai le moindre doute, je m’avance et je le touche : dès lors, plus d’hésitation, l’arbre est réel, je ne rêve pas. De même, je sens une odeur de rose ; si je me défie de l’odorat, je cherche la rose des yeux, je la touche du doigt, et ma certitude devient totale. J’ai devant moi un décor habilement brossé ; je me demande si cette maison qui m’apparaît est une vraie (maison ou une maison peinte ; je m’approche, je touche, l’illusion s’évanouit. Ainsi, dans la veille, la réalité des objets nous est garantie par l’accord de nos divers sens. Au contraire, ajoute-t-on, dans le rêve, nos sens étant endormis, nous ne pouvons pas vérifier la réalité de notre vision. Et voilà pourquoi nous en sommes dupes, jusqu’au moment où, nos sens se réveillant, nous reconnaissons notre erreur.

Il est visible que cette opposition est purement imaginaire. En