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dedans mon lit ! Il me semble bien à présent que ce n’est point avec des yeux endormis que je regarde ce papier ; que cette tête que je branle n’est point assoupie ; que c’est avec dessein et de propos délibéré que j’étends cette main et que je la sens : ce qui arrive dans le sommeil ne semble point si clair ni si distinct que tout ceci. Mais en y pensant soigneusement, je me ressouviens d’avoir souvent été trompé en dormant par de semblables illusions ; et, en m’arrêtant sur cette pensée, je vois si manifestement qu’il n’y a point d’indices certains par où l’on puisse distinguer nettement la veille d’avec le sommeil, que j’en suis tout étonné, et mon étonnement est tel qu’il est presque capable de me persuader que je dors. »

Cependant, nous opposons rêve et réalité. Le monde de la veille est pour nous le monde vrai, le seul monde ; le monde du rêve nous semble purement « intérieur » et chimérique. L’incohérence et l’absurdité de nos rêves nous étonne et nous amuse. Nous sommes ébahis d’avoir pu croire, pendant le sommeil, à de pareilles folies. Bref, rêve est pour nous synonyme d’illusion, de fantasmagorie et de fausseté. — Voici du reste le plus clair des théories régnantes sur le rêve ; elles reposent toutes sur ce postulat, que les perceptions de la veille sont vraies, et que les visions du rêve sont fausses. Elles répondent aux trois questions principales qu’on peut se poser sur les rêves : D’où viennent les rêves ? Pourquoi sont-ils incohérens ? Pourquoi prenons-nous les visions du rêve pour des réalités ? — D’abord, on explique la production des rêves d’une façon bien simple : les rêves sont des sensations anciennes qui renaissent en nous, en se combinant diversement ; ce ne sont donc que des reflets confus de la réalité. Parfois pourtant, ils sont produits par une impression actuelle, que subit un de nos sens, à demi éveillé : un contact, la façon dont on est couché, l’état des fonctions organiques sont ainsi des causes ou des occasions de rêves. — L’incohérence des rêves ne semble pas plus mystérieuse. On l’explique par deux causes : d’abord par le sommeil des « facultés réfléchies », jugement, raison, volonté, facultés de choix et de contrôle ; puis par le règne sans frein de l’imagination et de « l’association des idées. » — Quant à notre croyance à la réalité des objets rêvés, on l’explique par le jeu mécanique des images. On pose en principe cette loi que « toute image qui n’est pas contredite par des images plus fortes nous apparaît comme un objet réel. » Dès lors le