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l’idée même d’une dynamique sociale. Cette relativité ne comporte point de remède. Elle ne disparaîtrait que si l’évolution de l’humanité s’arrêtait, soit parce qu’elle aurait atteint la perfection où elle tend, soit par la fin de l’espèce. Mais de ces deux éventualités, la seconde, bien lointaine, se réalisera encore avant la première.

Ainsi comprise, la relativité de la connaissance entraîne de graves conséquences, et tout d’abord, une transformation de l’idée de vérité. L’esprit humain s’est longtemps refusé à comprendre une vérité qui ne fût pas immuable. La vérité devait être toujours identique à elle-même, toujours identique pour tous les esprits de tous les temps et de tous les lieux. Il semblait qu’en perdant ce caractère, elle dût cesser d’être elle-même. C’est pourquoi l’esprit humain s’est toujours acharné à la poursuite de l’absolu. Il ne pensait pas qu’aucune vérité fût solidement établie, si elle ne reposait sur ce fondement immuable. Sa science était suspendue à une métaphysique. Et ses échecs, mille fois répétés, ne l’auraient pas découragé, si la philosophie positive ne lui montrait enfin que la vérité dont nous sommes capables est toujours relative, sans cesser pour cela d’être vérité. Nous ne sommes pas condamnés à choisir entre la poursuite d’un absolu inaccessible, et la négation de toute science. Il suffit de comprendre que l’intelligence humaine évolue, et que cette évolution est soumise à des lois. Elle traverse des phases successives, dont chacune suppose les précédentes, et les conserve en les modifiant. La connaissance vraie évolue de même. Elle n’est jamais achevée, elle « devient » toujours. Elle n’est pas un « état » ; elle est un « progrès. »

Il est donc des vérités provisoires, et, si l’on peut dire, temporaires. La science en établit-elle jamais d’autres ? L’idée qu’Hipparque et les astronomes grecs se faisaient du monde céleste n’était pas fausse de tout point. C’était la vérité astronomique compatible avec les conditions générales de la société où ils vivaient. Après les travaux des observateurs du moyen âge, utilisés par Copernic, cette idée a cédé la place à une autre, qui s’est perfectionnée jusqu’à Newton et Laplace. Peut-être celle-ci sera-t-elle modifiée à son tour, à la suite de nouvelles découvertes ? Pareillement, on a pensé d’abord que la forme de la terre était une surface plate, puis un disque rond. On se l’est représentée ensuite comme une sphère, enfin comme un ellipsoïde de révolution. Aujourd’hui, l’on sait que cet ellipsoïde est irrégulier. Les