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façons, depuis Protagoras jusqu’à Stuart Mill, en passant par Hume et par Kant. Mais, en général, les philosophes se sont fondés, pour l’établir, sur des considérations psychologiques et métaphysiques. Or, Comte s’abstient de métaphysique, et il regarde l’analyse psychologique comme illusoire. Les philosophes qui s’obstinent à élucider les « principes de la connaissance, » sont-ils plus avancés aujourd’hui qu’au temps de Platon et d’Aristote ? Leur dialectique est stérile, et leur ingéniosité se dépense en pure perte. Comte ne fait appel qu’à des raisons positives, c’est-à-dire biologiques ou sociologiques. Notre connaissance est relative à notre organisation. Pour une espèce aveugle, il n’y aurait pas d’astronomie. Comte se souvient ici de Diderot, qu’il avait beaucoup lu. Si nous étions conformés autrement, l’objet restant le même, notre connaissance serait autre. Comment savoir ce que cet objet peut être « en soi », hors de tout rapport avec nous, qui le connaissons ? Il est chimérique de concevoir la connaissance comme toute « subjective » ; car la matière de la connaissance ne peut être fournie que par l’objet. Mais il n’est pas moins chimérique de concevoir la connaissance comme tout « objective », puisque notre esprit impose aux choses ses « exigences logiques » et son « aveugle besoin de liaison. » Fût-il même passif et neutre, rien ne nous garantirait qu’il reflétât toute la réalité. Avouons donc que notre connaissance contient à la fois des élémens subjectifs et objectifs, fondus en un tout indécomposable.

Elle est relative, en outre, à notre « situation ». Cette seconde cause de relativité est seule décisive. Car la première établit seulement que notre connaissance serait différente si notre organisation était différente. Or, en fait, notre organisation est invariable. On pourrait donc, à la rigueur, ne pas tenir compte de cette hypothèse. Mais nous sommes nécessairement « situés », dans le temps, à un certain moment de l’évolution de l’humanité. Ce moment correspond à un état défini de la civilisation des sciences, des arts, des institutions politiques et sociales. Nos idées, nos croyances et en général notre connaissance, sont évidemment relatives à cet ensemble de conditions qui a changé avant nous, et qui changera après nous. Si donc absolu signifie, comme le dit Comte « immuable », la connaissance, qui varie en fonction d’élémens eux-mêmes variables, ne saurait jamais être absolue. C’est un des premiers points qu’établit la sociologie positive : cela ressort de