Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 145.djvu/410

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fausseté étant achevée. Ce n’est pas ainsi que les dogmes finissent. Tant qu’ils luttent, tant qu’on les combat, ils sont invincibles. Ils disparaissent, selon le mot profond de Comte, par désuétude, comme les méthodes hors d’emploi. Et, en fait, n’ont-ils pas été vraiment des méthodes pour l’esprit humain, qui voulait concevoir l’ensemble des choses avant de les avoir assez étudiées ? Ce que la raison ne pouvait lui donner que très tard, après une longue expérience, il l’a demandé d’abord à l’imagination. Mais, à mesure qu’il s’accoutumait à la méthode d’investigation positive, il se déshabituait des explications théologiques et métaphysiques, ou, sans y renoncer tout à fait, il reléguait les » causes » dans des régions de plus en plus lointaines.

L’idée de la Providence, par exemple, présente, sous la forme la plus philosophique, une explication de ce genre. Or la Providence, dit Malebranche, n’intervient jamais dans le monde par des volontés particulières. Elle n’agit que par des volontés générales. Mais des volontés générales, qui ne souffrent point d’exception, ressemblent étrangement à des lois nécessaires. Que peut être pour l’homme une Providence que ses prières n’émeuvent point, esclave de ses propres décisions, éternelles et immuables ? En fait, nous n’imaginons plus d’intervention surnaturelle dans les phénomènes les plus simples et les plus généraux de la nature, tels que le mouvement des astres ou la chute des corps. Quand tous les ordres de phénomènes seront habituellement conçus comme ceux-là, quand l’idée de leurs lois nous sera devenue partout familière, on ne démontrera pas, par surcroît, qu’il n’y a pas lieu de croire à une Providence. On aura simplement cessé d’y croire. Être athée est encore une façon d’être théologien. Il est donc peu exact de dire que Comte n’a pas voulu laisser de questions ouvertes. Au contraire, toutes les questions théologiques et métaphysiques, selon lui, resteront éternellement ouvertes. Seulement personne ne les abordera plus.

Toutefois, il ne suffirait pas, pour rendre définitif ce résultat, que la méthode positive se fût successivement étendue à tous les ordres de phénomènes naturels. Sans doute, elle met ainsi un terme au trouble qui provient de la coexistence dans les esprits de deux modes de penser opposés et incompatibles. Mais ce n’est là encore, pour ainsi dire, que la condition négative de l’unité que notre entendement exige. Pour que cette unité se réalise pleinement, il faut que l’esprit positif fasse bien davantage. Il faut qu’il