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La méthode positive s’est imposée d’abord dans la science de la nature inorganique. Après les découvertes de Copernic, de Kepler, et de Newton, l’astronomie est devenue un « cas céleste » pour les mathématiciens. Personne ne songe plus à « expliquer » les phénomènes astronomiques. On se contente de les calculer. Pareillement, en physique et en chimie, la recherche des lois naturelles a effacé presque toute trace de l’ancien mode de penser théologique et métaphysique. Le monde de la nature vivante est une conquête plus récente de l’esprit positif. Cependant, depuis la fin du XVIIIe siècle, la « biologie », pour employer un mot que Blainville a emprunté aux Allemands, et Comte à Blainville, est devenue à son tour une science positive, une sorte de physique des phénomènes vitaux. Enfin, des signes précurseurs annoncent que bientôt les phénomènes moraux et sociaux seront étudiés au moyen de la même méthode, et que notre temps verra naître une « physique sociale ».

Mais comment ce progrès de l’esprit positif, si important qu’il soit d’ailleurs, a-t-il pour conséquence l’anarchie morale et mentale qui, au dire de Comte, est le grand mal de notre temps ? L’investigation positive des divers ordres de phénomènes naturels ne peut-elle s’accorder avec une conception métaphysique ou théologique de l’univers ? Qui empêche de se représenter les phénomènes de la nature comme régis par des lois nécessaires, et de croire en même temps que l’ordre général de la nature provient d’une cause suprême ? Il semble au contraire que la science positive, enfin dégagée de la théologie et de la métaphysique, leur assure la liberté qu’elle revendique pour elle-même.

Cette conciliation, dit A. Comte, a pu longtemps paraître légitime, parce qu’elle était provisoirement indispensable. Mais, à la longue, l’impossibilité de la maintenir éclate. Il fut un temps où les théologies et les métaphysiques étaient les seules conceptions du monde dont l’esprit humain fût capable. Elles ont rempli alors une fonction nécessaire. Même, sans elles, la science positive n’aurait jamais pu naître et se développer. Mais, comme elle est leur héritière, elle est aussi leur ennemie. Son progrès entraîne nécessairement leur décadence. L’histoire parallèle des dogmes religieux et métaphysiques d’une part, et de la méthode positive d’autre part, permet de dire avec certitude : « Ceci tuera cela. » Il ne faut pas imaginer à cette occasion une lutte dialectique où les dogmes finiraient par succomber, la démonstration de leur