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— Vous allez me payer cela ! Insulter la bonne cause, m’offenser moi-même, cela ne se passera pas ainsi !

Le père descendit souper, sans rien dire de l’incident. Il paraissait visiblement soulagé. Mais bientôt on appelle la mère, qui ne reparaît plus. On envoie les enfans au lit. C’est seulement le matin qu’ils apprennent les graves événemens de la veille. Le gouverneur avait aussitôt commandé de se saisir du délinquant. On savait autour de lui qu’il n’y avait pas à répliquer ; mais quelquefois, en pareil cas, on avait pu gagner du temps. D’ailleurs, au milieu du tumulte, un retard pouvait aisément s’excuser. Un voisin, la mère, se mirent après l’adjudant pour obtenir quelques momens de répit. Puis ce voisin, qu’on nous décrit homme de bon conseil et de bonne humeur, sachant assez bien le français (Gœthe ne le nomme point, mais l’histoire a conservé son nom, qui se retrouve aussi dans les papiers de Thorane : il s’appelait Diene), monta chez le commandant, qu’il trouva retiré, comme dans ses jours d’humeur noire, au fond de son cabinet.

Ici vient se placer un entretien que Gœthe affirme se rappeler point par point, attendu que l’interlocuteur, pour qui ce fut le plus beau jour de sa vie, le lui avait répété nombre de fois. Je pourrais le supprimer ici : mais il me semble qu’il a une couleur bien française, et que le lecteur y percevra comme un vague parfum de notre littérature classique.

THORANE. — Que voulez-vous ? Sortez ! Personne n’a le droit d’entrer ici que Saint-Jean.

DIENE. — Veuillez alors, monsieur le comte, me prendre pour Saint-Jean.

THORANE. — Il y faudrait de la bonne volonté. (Saint-Jean était un petit homme maigre, Diene un homme énorme.) Trêve de plaisanterie !

DIENE. — Monsieur le comte, vous avez reçu du ciel un don précieux, auquel je fais appel.

THORANE. — Vous voulez me prendre par la flatterie. Cela ne vous réussira pas.

DIENE. — Vous avez le don, monsieur le comte, même dans les momens de passion, de savoir écouter.

THORANE. — Je n’ai que trop écouté ! Ah ! je sais bien que ces bourgeois nous détestent. Voilà de belles gens ! Ils se disent citoyens d’une ville impériale, et quand leur empereur, qu’ils ont vu élire, qu’ils ont vu couronner, est menacé de perdre sa