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aux tableaux », il demanda aussitôt à la voir, et quoiqu’il fît déjà nuit, il voulut au moins en prendre une première et rapide connaissance à la lumière des flambeaux. Ces sortes de choses, disait-il, lui causaient un plaisir extraordinaire. Il loua les tableaux, et lorsqu’il apprit que la plupart des artistes étaient encore vivans, qu’ils habitaient à Francfort ou dans les environs, il témoigna que son plus vif désir était de faire bientôt leur connaissance.

Devenu de cette façon habitant de la maison, l’officier se montra gentilhomme accompli. Pour commencer, il ne voulut pas qu’on clouât aux murs ses cartes et plans, de peur de dégrader les nouveaux papiers. Avec la jeune femme du conseiller, celle qui, en Allemagne, est devenue populaire sous le nom de Frau Rath, il déploya les grâces d’une certaine galanterie de cour. Quant aux enfans, il n’eut point de peine à en faire la conquête. Il les charmait par ses manières aisées et nobles. Comme il tenait table ouverte, car il aimait la représentation, le surplus du dessert passait régulièrement aux jeunes habitans de la maison. La tenue de ses serviteurs n’était pas moins irréprochable. Il ne tarda pas à se concilier l’estime par des titres plus sérieux. Ce qui paraît avoir causé l’étonnement général (car Gœthe ne peut être ici que l’écho des bruits du dehors), ce fut son absolue intégrité. « Même les dons qui convenaient à sa position, il les refusait : tout ce qui aurait pu avoir l’air d’une tentative de corruption, il le repoussait avec colère, et même il le punissait. »

C’était à l’ordinaire (nous continuons le récit des Mémoires) un homme doux, gai et actif. Mais il était sujet à des accès de découragement durant lesquels il se retirait au plus profond de son appartement, sans y laisser pénétrer personne. Son valet de chambre, nommé Saint-Jean, donnait à entendre qu’il avait autrefois, en un de ces momens d’hypocondrie, causé un grand malheur, et que, pour éviter rien de semblable en cette nouvelle et importante position, il aimait mieux rester inabordable.

En arrivant chez ses hôtes, le comte avait parlé de son goût pour la peinture. On vit bientôt que ce n’était pas un propos en l’air. Il manda chez lui tous les peintres francfortois ; leur ayant fait montrer ce qu’ils avaient de prêt, il acheta tout ce qui était à vendre. Puis il leur fit des commandes : une chambre sous les toits fut disposée en atelier, car il voulait avoir ces artistes sous la main. Surtout Seekatz, de Darmstadt, dont le talent lui plaisait particulièrement.