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syndicat à la baisse. On interpelle, soudainement, le ministre sur la Banque de France, sur le Crédit Foncier, sur les Compagnies de chemins de fer ou de navigation, sur les conventions faites entre elles et l’Etat, sur la durée de la garantie d’intérêts accordée à leurs actions ou à leurs obligations. La seule annonce des débats, le dépôt de l’interpellation, suffit, le plus souvent, à provoquer une baisse ; les agioteurs parlementaires et leurs compères de la presse ou de la Bourse opèrent presque à coup sûr. Le tour est devenu classique. Plusieurs campagnes de ce genre, vraies razzias de démocrates, sont demeurées fameuses. Los mauvaises langues vont jusqu’à prétendre que certains députés, imitant les procédés des corrompus de la presse, joignent le chantage à l’agiotage. Après avoir provoqué une baisse, pour eux fructueuse, en annonçant ou déposant une interpellation, ils consentent, sur la demande des intéressés, à la retirer, touchant ainsi des deux mains et tirant d’un même sac une double mouture. Une chose certaine, c’est que, pour le gros public, pour les petites gens surtout, les discussions de ce genre à la Chambre sont, le plus souvent, une cause de perte sinon de ruine, car elles provoquent des inquiétudes qui vont parfois jusqu’à la panique. Les porteurs effrayés jettent sur le marché des titres que les spéculateurs ramassent à vil prix. Ainsi en a-t-il été des actions et même des obligations de l’Orléans et du Midi, lorsque éclata, comme un coup de tonnerre dans un ciel serein, la question de la garantie accordée à ces titres. La petite épargne a perdu, de ce fait, des centaines de millions. Les politiciens ayant eu l’honnêteté de nous prévenir qu’ils ne considéraient pas la question comme tranchée par l’arrêt du Conseil d’Etat, nous pouvons nous attendre, d’ici à quelques années, à la reprise d’une semblable campagne.

La politique n’offre déjà que trop de facilités d’agiotage. Est-ce la peine de parler des ministres ou des hauts fonctionnaires qui mettent à profit, pour eux-mêmes ou pour leurs proches, les renseignemens qu’ils doivent à leurs fonctions, pareils à des joueurs qui profitent indûment de ce qu’ils connaissent le dessous des cartes ? Ce genre d’agiotage est ancien ; il a été de tous les temps et de tous les régimes ; ce qui ne veut pas dire qu’il soit aussi répandu et, encore moins, aussi général que l’imagine la malignité publique. Bien des ministres en ont été accusés sans preuves. La calomnie ici l’emporte souvent sur la médisance,