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la rigueur de la loi n’atteigne que les fautes réelles et personnelles, les fraudes, les escroqueries, les faits délictueux, les faits de corruption, les négligences graves. Autrement, si la fondation ou l’administration des sociétés devait entraîner, pour tous ceux qui y participent, des périls manifestes, hors de proportion avec les bénéfices qu’ils en peuvent retirer, sait-on quel serait le résultat de pareille réforme ? Ce serait, tout bonnement, d’écarter des sociétés les hommes intelligens, les hommes probes, les hommes riches. Il ne resterait pour briguer les fonctions d’administrateurs ou de directeurs des sociétés anonymes que deux catégories de personnages, les fripons et les besoigneux ; les uns, parce que la perspective de tripotages, et l’espoir de gains illicites les encourageraient à braver les sévérités de la loi ; les autres parce que, n’ayant rien à perdre, ils affronteraient sans peur les risques de responsabilités qui ne pourraient les atteindre. Ici, comme presque partout, les lois draconiennes tourneraient contre leur but ; le public serait la première victime de la guerre faite aux hommes d’affaires. Aussi, quand on considère la composition de nos Chambres et leurs méthodes de travail ; quand on sait quelle prise ont sur nos législateurs les préjugés de la foule et les lieux communs de la presse ; quand on se rappelle quel est leur manque de mesure et quel est leur peu de courage en face des déclamations et des suspicions, on en vient, en vérité, à se demander si l’on doit souhaiter du Parlement une réforme législative, s’il est prudent d’implorer de lui de nouvelles lois sur la Bourse et sur les sociétés, et si le statu quo, avec tous ses défauts ou ses vices, n’est pas préférable à l’inconnu de prétendues réformes mal conçues, mal étudiées, suggérées par l’esprit de jalousie ou par l’adulation du populaire.


III

Il est, pour toutes les plaies sociales, une recette aujourd’hui fort à la mode, sorte de panacée vantée par nombre de braves gens de toute classe et de tout parti. La recette, on l’a deviné, c’est l’intervention de l’Etat, l’ingérence de l’État. Certains voudraient l’appliquer à la Bourse, à la finance, aux sociétés anonymes. A les entendre, l’Etat devrait exercer sur toutes les compagnies une façon de tutelle ; il n’aurait, pour cela, qu’à créer des commissaires ou des inspecteurs, chargés de contrôler