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croire, qu’à expulser les « sémites », les agens de prédilection de l’agiotage, et à en bannir, avec eux, « les pratiques judaïques et l’esprit judaïsant ». Entre des mains chrétiennes, des mains « aryennes », le crayon de l’agent de change et les fiches des coulissiers perdraient toute vertu maligne ; la spéculation s’assagirait, se purifierait, se sanctifierait. A consul 1er les fastes de la Bourse, il est permis d’en douter ; on ne gagne rien à introduire la religion dans les luttes de la finance. Il s’est trouvé, plus d’une fois, en France et ailleurs, des chrétiens qui ont fondé des banques catholiques, avec l’intention avouée, d’affranchir le marché de la suprématie des Juifs, de moraliser la Bourse et de refréner les abus de la spéculation. Françaises, belges ou romaines, ces pieuses maisons ont toutes sombré dans les tempêtes de la spéculation.

On ne voit pas bien, du reste, comment s’effectuerait une pareille épuration ; car, nous le remarquions à propos de la Coulisse, ce ne sont pas seulement les courtiers, agens de change ou coulissiers qu’il faudrait épurer, mais bien les opérateurs, les spéculateurs, ceux qui donnent des ordres de Bourse. Et à quel signe distinguer les ordres d’un chrétien de ceux d’un juif ? Faudra-t-il, à la porte de la Bourse, de même qu’à l’entrée d’une église, faire le signe de la croix ? ou, comme on poursuit ici moins la religion que la race, faudra-t-il avoir, aux portes du Stock Exchange, des préposés qui examineront le profil du visage et la courbe du nez de chacun ? ou encore, pour plus de sûreté, devrons-nous interdire toute opération de banque ou de finance à qui ne pourrait faire preuve de huit quartiers de noblesse chrétienne, de même que l’Espagne des rois catholiques interdisait toute fonction ecclésiastique ou civile aux descendans de los Judios ou de los Moros ! Autant vaudrait, sur la place de la Bourse, exorciser Mammon avec de l’eau bénite. Hélas ! quand la recette serait d’une application moins chimérique ou moins inquisitoriale, elle n’en serait pas plus efficace. Tant qu’à revenir au moyen âge, j’aimerais mieux, je l’avoue, remonter plus haut, au temps où les finances et le change, avec le prêta intérêt, n’étaient permis qu’aux fils d’Israël. Le remède serait violent, mais au moins, de cette façon, le grand nombre pourrait être préservé.

Parlons sérieusement : Paris et New-York, l’Europe et l’Amérique ont connu des époques où le juif était absent ou peu en vue ; la spéculation n’en était ni plus sage, ni plus intègre. Sous la