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les plaies matérielles et les plaies morales de la spéculation. Le journal n’est-il pas, aujourd’hui, le guide du grand nombre, le véritable directeur des âmes ? Mais, pour cette œuvre de salut, peut-on s’en fier au journal ? La presse est, trop souvent, elle-même, un agent de corruption, et le pire de tous, parce qu’elle est celui qui pénètre le plus loin. Sa mission est d’éclairer, et trop souvent elle égare, pareille à ces naufrageurs des côtes bretonnes qui, à l’aide de fanaux trompeurs, attiraient, pour les piller, les bateaux sur des brisans. Purifier la presse serait non moins urgent et non moins malaisé qu’assainir la Bourse. Le mercantilisme a envahi la presse contemporaine, et non pas seulement la presse financière. Nos journaux en France sont trop nombreux ; là est une des causes du mal : la plupart sont trop besoigneux pour être toujours indépendans.

La publicité est une de leurs sources de revenu, et sur cette publicité peu de journaux sont assez riches pour faire les difficiles. Ils n’ont malheureusement pas, comme les feuilles anglaises ou américaines, la ressource de ces innombrables annonces de toute sorte qui assurent la vie du journal et le dispensent de la publicité occulte, des louches réclames et des marchés suspects. Soyons justes envers elle, la presse a souvent de généreuses intentions ; elle est parfois la première à dénoncer les vicieuses pratiques auxquelles il lui faut se plier ; elle le fait, à certains jours, avec une ardeur passionnée, sans que nous ayons le droit de mettre en doute sa sincérité. Mais alors même qu’elle veut faire office de chirurgien ou de médecin, elle n’en ressemble pas moins, trop souvent, à ces docteurs contaminés qui apportent la maladie à leurs cliens. Prenez les plus honnêtes des journaux, les feuilles religieuses, par exemple, celles qui poussent la vertu jusqu’à la pruderie, qui, non contentes de honnir l’agiotage, repoussent, indistinctement, toute spéculation et flétrissent en bloc les usuriers et les publicains ; la plupart ont un bulletin financier, et ce bulletin est d’ordinaire affermé à une maison de banque. Les trois premières pages du journal appartiennent à Dieu et à l’Eglise ; la quatrième est au diable et à Mammon. Jusqu’à certaines Semaines religieuses qui ont un bulletin financier, loué Satan sait à qui ; — au plus offrant sans doute, et l’homme d’affaires qui prend à bail la partie financière de la pieuse gazette ne le fait pas, d’habitude, pour le salut de son âme et pour la gloire de Dieu. L’excuse des hommes qui dirigent les « bons journaux »