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nuance de ces sons s’appelle diapason, la qualité s’appelle timbre, la durée s’appelle rythme. Or le rythme est une loi universelle qui régit toute la musique, qu’il s’agisse d’une phrase parlée, ou chantée, ou récitée, ou simplement exprimée par les battemens de mains du nègre qui scande silencieusement un air de danse. Le rythme du vers n’est autre chose que la mesure d’une musique. L’intimité étroite existant entre les deux arts fait que le meilleur moyen d’expliquer un vers est de le réduire en notes musicales ; la qualité ou nuance décidera du son, la mesure en sera le rythme. Ainsi scandés, bien des vers, harmonieux d’ailleurs, mais ne pouvant être comptés par longues et brèves, déclarés à cause de cela irréguliers ou mauvais, deviennent absolument corrects et d’une beauté très originale, la pause en arrêt donnant le pied qui semblait manquer et remplissant le vide fait instinctivement par le lecteur. Ces arrêts sont très fréquens chez les grands poètes et dans les ballades, dans les chansons populaires. Ils existent dans la conversation, où l’on s’arrête pour soupirer, pour sourire, pour s’étonner, pour s’indigner.

Tout ceci semblera intéressant et clair, même aux ignorans. Suivre l’auteur dans les preuves abondantes qu’il prodigue, dans les divisions et sous-divisions de ses mesures et de ses dictées musicales serait difficile, mais je m’appuie, je le répète, sur l’opinion de juges très compétens pour admettre que sa façon de scander, — en ce qui concerne la prosodie anglaise, — est infiniment plus facile et plus poétique, tout en étant plus scientifique, que l’emploi des longues et des brèves latines ou des chiffres.

Ce n’est pas cependant l’avis de tous. M. Stedman, le critique qui en Amérique a le plus d’autorité, fait observer, en parlant des formules poétiques de Poe comme de celles de Lanier, que ces formules de poètes sont toujours modelées sur les capacités de leur inventeur, et que Lanier, pour ne parler que de lui, n’a pas échappé au danger de se laisser aller à des improvisations de virtuose vagues, faciles et rêveuses, à d’interminables récitatifs. Il l’accuse, au milieu des plus grands éloges, d’avoir essayé de rendre par des mots ce qui n’est possible qu’à la gamme. Très probablement, comme le dit M. Stedman, Lanier aurait fini par appliquer non seulement la mélodie, mais l’harmonie et le contrepoint aux usages de la poésie, « les deux arts atteignant en lui leur conjonction extrême. »

Il se surpassait toujours comme flûtiste au concert Peabody,