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n’y a pas le moindre grain de puritanisme ou de yankéisme chez Lanier ; qu’on veuille bien voir en lui un fils de Cavaliers ; rien des Têtes rondes. En remontant le plus loin possible dans sa généalogie, nous trouvons des musiciens : le premier, d’origine française, son nom l’indique, bien que la prononciation anglaise en ait fait Lenière, se réfugia huguenot en Angleterre et obtint par son talent la bienveillante protection de la reine Elisabeth. Pour la même raison, Nicolas Lanier fut en faveur auprès du roi Jacques et de Charles Ier. Musicien, il était peintre aussi et ami de Van Dyck, qui fit, dit-on, son portrait. L’aristocratique figure du poète Sidney eût été digne du même honneur. Un autre Nicolas Lanier fut, sous Charles II, directeur d’un corporation de musiciens constituée pour le progrès de l’art et dans l’intérêt de l’enseignement. Quatre autres Lanier comptèrent parmi les membres de cette société. Enfin un sir John Lanier, major général, celui-là, à la bataille de la Boyne, laissa l’exemple d’une valeur militaire que son descendant d’Amérique put prendre pour modèle pendant la guerre de Sécession. Brave aussi à sa manière fut Thomas Lanier, qui émigra en 1716 et vint avec d’autres colons s’établir sur une concession de terres où s’élève aujourd’hui la ville de Richmond (Virginie). Le père du poète était avocat, marié à une Virginienne d’origine écossaise. Les qualités de ses aïeux semblent avoir fleuri avec une précoce exubérance chez le jeune Sidney. Sa première passion fut pour la musique. Sans leçons, il jouait de plusieurs instrumens. Le violon l’absorbait d’une telle manière que son père, inquiet de le voir négliger pour ce qui lui semblait un simple passe-temps des études plus sérieuses, le lui interdit longtemps. Il se rejeta sur la flûte dont il obtenait des effets étrangement semblables à ceux du violon.

Vers quatorze ans, on le fit entrer dans une petite université de province où il n’eut pas de peine à se distinguer. Ce qui est plus étonnant, c’est qu’il ait trouvé le moyen d’y faire d’aussi bonnes études. Le violon restait cependant son unique plaisir, plaisir presque douloureux, car il lui arrivait après des heures d’étude solitaire de s’éveiller comme d’un évanouissement, brisé de fatigue, couché tout de son long sur le plancher de sa chambre. Il avait honte de lui-même, ses parens, pour mieux réprimer ses goûts, lui ayant persuadé que la musique était indigne des préférences d’un homme. Mais, plus tard, en l’élevant presque au rang de religion, il expia ce blasphème. Muni très jeune des diplômes nécessaires,