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avant-garde. Il reconnut la position. Bien que les Nassaviens fussent seulement 4 500 avec huit pièces de canon, c’était assez pour défendre les Quatre-Bras contre les 1 700 lanciers et chasseurs de Lefebvre-Desnouëttes soutenus par un seul bataillon. Ney se contenta de faire exécuter quelques charges assez molles contre les bataillons de Nassau en position devant les Quatre-Bras et de diriger à l’est de ce point, du côté de Sart-Dame-Aveline, une reconnaissance qui ne s’approcha même pas à portée de fusil des petits-postes ennemis. Puis, un peu avant 8 heures, il rallia à Frasnes, où elle s’établit, la division de Lefebvre-Desnouëttes et revint à Gosselies pour y passer la nuit.

L’aide de camp de Ney pendant cette campagne, le colonel Heymès, a donné comme explication ou comme excuse de la conduite du maréchal « qu’il n’y avait pas une chance sur dix » de s’emparer des Quatre-Bras. En effet, quand le maréchal arriva en vue des Quatre-Bras, non point à 10 heures du soir comme le prétend Heymès, mais à 7 heures au plus tard, il ne pouvait songer à enlever cette position avec deux régimens de cavalerie. Mais si, dès 4 heures de l’après-midi, étant à Gosselies, Ney avait mis en marche sur la route de Bruxelles le quart seulement des troupes que l’Empereur lui avait confiées, soit deux divisions de cavalerie, deux d’infanterie et quatre batteries, avant 9 heures, il eût exterminé aux Quatre-Bras avec ces 14 000 hommes les 4 500 fantassins du prince Bernard de Saxe. En arrêtant autour de Gosselies tout le corps de Reille, Ney pour la première fois de sa vie avait cédé à la prudence. Il avait renoncé à occuper les Quatre-Bras, sinon par un poste de cavalerie au cas où ce point ne serait pas défendu. Il avait jugé que ce serait compromettre un corps d’armée que de le porter en flèche, à cinq lieues de l’aile droite, dans une position où l’on pouvait se trouver aux prises avec toutes les forces de Wellington. Des stratégistes ont déclaré que Ney agit selon les vrais principes de l’art de la guerre. C’est bien possible. Mais si le prince Bernard de Saxe avait entendu ces principes-là, il n’aurait pas obéi à l’inspiration démarcher aux Quatre-Bras avec quatre bataillons, dont chaque homme avait seulement dix cartouches, au risque d’y être écrasé par toute l’armée française.


HENRY HOUSSAYE.