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par l’épouvante de voir Napoléon, à peine rentré en France, chausser ses bottes de sept lieues pour marcher à de nouvelles conquêtes ? L’Empereur avait encore une autre raison, — et celle-là primait les autres, — de ne pas commencer la guerre avant d’avoir épuisé tous les moyens d’accommodement : comme son peuple, bien que sans doute pour moins longtemps, il voulait le maintien de la paix.

Plus d’un grand mois, l’Empereur persista à croire la paix possible. « Si nous avons la guerre… », écrivait-il encore le 30 avril à Davout, avec qui il n’avait pas à dissimuler. Toutefois, quelle que fût la ténacité de ses illusions, il ne s’en préparait pas moins à la guerre. Il avait appelé les réserves, mobilisé les gardes nationales donné ses ordres pour la reconstitution du matériel. Mais ce fut seulement au milieu du mois de mai, quand il eut à peu près perdu toute espérance d’accommodement, qu’il arrêta son plan de campagne.


II

Les Alliés mûrissaient le leur depuis le commencement d’avril. Avant même l’arrivée de Blücher à l’armée, Gneisenau, son chef d’état-major, avait envoyé d’Aix-la-Chapelle à Vienne un projet stratégique qui servit de base d’étude et dont plusieurs dispositions finirent par être adoptées. « Le plan proposé, disait en substance Gneisenau dans son mémoire, est fondé sur l’énorme supériorité numérique des coalisés. Quatre grandes armées d’opérations, dont la quatrième, l’armée russe, formera la réserve, entreront simultanément en France et marcheront droit sur Paris. Quoi qu’il arrive à l’une des trois armées de première ligne, qu’elle soit battue ou non, les deux autres continueront d’avancer, en faisant des détachemens sur leurs derrières pour observer les forteresses. L’armée russe, ou armée de réserve, est destinée à réparer les échecs que pourrait subir l’une des armées de première ligne. Pour cela, elle se portera directement à l’aide de l’armée en retraite ou manœuvrera sur le flanc de l’ennemi. À supposer que Napoléon batte une des armées de première ligne, les deux autres, marchant toujours en avant, gagneront du terrain et se rapprocheront de Paris tandis que l’armée de réserve secourra l’armée battue. Si, au lieu de poursuivre l’armée battue, Napoléon se porte sur le flanc d’une autre armée de première ligne, l’armée de