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Ce facile succès eût-il suffi, comme se l’imaginait l’Empereur, à soulever la Belgique ? En tout cas, sans en imposer beaucoup aux hommes de guerre, l’occupation de Bruxelles eût produit un effet immense en France et à l’étranger. Et, quoi qu’il advînt dans la suite, la campagne ainsi commencée n’aurait pu aboutir à un pire dénouement que la bataille de Waterloo. Les généraux prussiens, le prince d’Orange, Wellington lui-même, redoutaient cette brusque attaque. « Ce serait un bien grand avantage pour Bonaparte, écrivait le 5 avril Wellington à Gneisenau, que de contraindre notre armée à battre en retraite, de chasser Louis XVIII de Gand et d’arrêter la mobilisation des Hollando-Belges. » Mais ce coup d’audace dont Napoléon eut l’idée et dont il jugeait l’exécution facile et certaine, il y renonça en même temps qu’il le conçut. Il comprenait trop bien qu’une victoire remportée sur le dixième seulement des forces de la coalition ne serait regardée par les Alliés que comme une affaire d’avant-postes, et que cette victoire, eût-elle même pour conséquence le soulèvement de la Belgique, ne terminerait point la guerre. En passant la Sambre le Ier avril, il aurait donc sacrifié pour un succès sans résultat l’avenir de la campagne, car l’ex-armée royale, tout en pouvant fournir sur l’heure 50 000 hommes d’excellentes troupes, n’était point en état d’entreprendre une campagne de quelque durée. Hommes, armes, chevaux, approvisionnemens, tout manquait. Or, l’Empereur ne pouvait à la fois diriger les opérations en Belgique et réorganiser l’armée. En outre, pour former un corps de 50 000 hommes, il eût fallu prendre tous les disponibles dans les garnisons des départemens du Nord, dont la population était si hostile à l’Empire, et employer la réserve de Paris, destinée, en cas de force majeure, à agir dans l’Ouest, où remuaient les chefs vendéens, et dans le Midi, où Bordeaux, Toulouse, Marseille, reconnaissaient encore l’autorité du duc d’Angoulême.

Si l’état militaire de la France interdisait au capitaine d’entrer trop vite en campagne, de même la situation politique le défendait au souverain. Huit jours après être remonté sur le trône, Napoléon ne pouvait pas abandonner le gouvernement pour courir à la frontière sans nécessité. Il était plus urgent de réorganiser l’administration, de remplir le trésor, de pacifier le pays. Quel admirable expédient pour gagner le cœur des Français, qui désiraient tous si ardemment la paix, que d’envahir la Belgique ! L’effet produit par la prise de Bruxelles n’eût-il pas été compensé