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REVUE. — CHRONIQUE.

dans tout l’Extrême-Orient, il y en ait une autre qui soit supérieure à cette dernière, sinon au point de vue commercial, du moins au point de vue politique et militaire. En outre, elle donne un débouché sur les mers du Sud aux possessions septentrionales de l’empereur Nicolas. On assure qu’un arrangement avec la Chine autorise la Russie à y envoyer hiverner ses vaisseaux, bloqués par la glace à Vladivostock : cet arrangement aurait été conclu à la suite de la guerre sino-japonaise, en retour des services que la diplomatie russe a rendus au Céleste Empire. Le gouvernement de Saint-Pétersbourg ne pouvait donc pas hésiter : il a donné l’ordre à ses navires de se rendre à Port-Arthur. Aucune comparaison n’est d’ailleurs à établir entre ce qui s’est passé à Port-Arthur et ce qui s’est passé à Kiao-Tcheou. À Kiao-Tcheou, les Allemands ont débarqué de force et se sont emparés des ouvrages qui commandent la rade : ils ont opéré une prise de possession. Du côté des Russes, rien de pareil. Ils se sont contentés de mouiller à Port-Arthur, sans débarquer un soldat et sans planter leur pavillon sur aucun point du rivage. Mais on comprend bien ce que cela veut dire, et il n’est pas probable désormais que les Russes quittent le mouillage de Port-Arthur avant que les Allemands aient évacué la place de Kiao-Tcheou. Il y en a, comme on voit, pour longtemps. S’ils ne se sont pas formellement établis à Port-Arthur, les Russes en ferment la porte, et cela n’était peut-être pas tout à fait inutile. On assure — le fait a été démenti, puis confirmé, et nous avons lieu de le croire exact — qu’un navire anglais était entré dans la rade avant l’escadre russe, et ne s’était retiré que devant les protestations du gouvernement chinois. Le gouvernement chinois a protesté contre la présence de la Daphné ; il n’a rien dit sur celle de l’escadre russe. Celle-ci a donc agi avec son assentiment.

N’ayant nul besoin de celui de l’Allemagne, elle s’en est passée ; mais, dans le cas contraire, elle l’aurait obtenu aussi complet que possible. C’est sans doute ce que l’empereur Guillaume a voulu dire lorsqu’il a parlé de la conformité de ses vues avec celles de l’empereur Nicolas. Il ne lui déplaisait pas que la Russie se précipitât à son tour sur un point de l’Empire chinois et y prit position pour attendre les événemens, qu’il se chargera peut-être lui-même d’accélérer. C’est surtout lorsqu’on a vu la Russie courir à Port-Arthur, immédiatement après la nouvelle de l’occupation de Kiao-Tcheou par les Allemands, que les imaginations les plus pressées ont cru à la dislocation prochaine et au partage du Céleste Empire. C’est aller trop vite en besogne. La Chine est si grande et elle est composée de parties si