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musique par trop de réalisme et d’ignominie. Mais un duo, presque un duel, s’imposait, et, que le drame littéraire l’eût omis, ce n’était point une raison, ni même une excuse, pour que le drame lyrique s’y dérobât. Je veux parler de l’inoubliable scène, avant la rupture, dans les bois de Ville-d’Avray. Une fois au moins, cette fois, il fallait une terrible explosion de désespoir et de fureur, un débordement de passion et d’infamie, des flots de larmes et des torrens d’injures. Dans la boue restée au creux du vallon, près de l’étang d’où monte une buée de fièvre, elle eût été sublime, en musique, cette dernière défense, cette agonie de bête qu’on égorge, et M. Massenet pouvait trouver des chants, une symphonie capable d’emplir tout le grand soir d’automne de cette clameur ou de cette bramée d’amour.

Voilà la haute, l’admirable bassesse où la musique n’a pas atteint. Inégale au principal personnage, elle a pris de quelques autres, ceux qu’on appelle « sympathiques », le plus honnête souci. Le papa et la maman que sont devenus l’oncle Césaire et la tante Divonne, Irène la petite cousine, la famille enfin a paru quelque peu romance, et pour la première fois on a regretté que le plus sensuel et le plus voluptueux de nos musiciens eût péché par trop de réserve, de convenance et de vertu.


Mme Calvé dans le rôle de Sapho s’est montrée parfaite comédienne et cantatrice accomplie. A l’âme qu’elle avait souvent révélée, âme de colère, de passion et de flamme, elle a joint « l’esprit de finesse ». Par le geste, l’attitude ouïe regard, par certaines notes, portées ou coulées, d’une voix qui ne fut jamais aussi pleine en même temps qu’aussi pure, elle a rendu plus délicieux encore des détails délicieux. Il est dit dans le roman que lorsque Sapho chantait « Gaussin s’exaltait par le son ». Pour comprendre cette exaltation et pour l’éprouver, allez entendre Mme Calvé chanter sans accompagnement le Magali, le vrai Magali de Provence.


CAMILLE BELLAIGUE.