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pour montrer qu’il sait tout faire, et que pouvant le plus il peut le moins aussi ! Trop de musique ou pas assez. Notre génie français ne fait guère aujourd’hui qu’aller et revenir de ce défaut à ces excès, de certains Italiens à certains Allemands. Tantôt la musique étouffe le drame et tantôt elle est étranglée par lui. Ce dernier cas est un peu celui de Sapho. Pas assez de longueurs, a-t-on dit, et ce n’était pas mal dit. Il semble que M. Massenet ait voulu tenir et gagner le pari de se réduire lui-même et que délibérément il ait rétréci des formes et pâli des couleurs plus larges autrefois et plus brillantes. Pourquoi ce parti pris ? Qu’un Massenet le laisse à ceux-là qui n’en sauraient avoir d’autre, à ceux dont la veine est avare, et dont Nietzsche aurait dit avec raison qu’ils mettent toujours un principe à l’endroit où il leur manque une faculté. La nouvelle partition de M. Massenet (cela devait être) abonde en jolis détails ; elle est pleine de « coins » délicieux. J’y aurais voulu (cela pouvait être) plus d’étendue, plus d’espace ouvert à plus de souffle, de jour et de soleil.

Le rôle entier de Fanny, le meilleur, si touchante qu’en soit à certains momens la tendresse et la douleur, garde pourtant jusqu’à la fin quelque chose de mince et, comment dirais-je ? d’un peu dépouillé. Il y manque le relief et le modelé qui faisait plus forte la grâce même de Manon. Dans la partition quelquefois se lit cette indication : « avec affection », et certes, la musique s’y conforme. Mais un tel sujet n’exigeait-il pas une musique plus qu’affectueuse ? Le dernier entr’acte, symphonie sur laquelle se développe ensuite le monologue de Sapho, n’atteint pas à la grandeur d’autres déplorations d’orchestre, plus magnifiquement désolées : le prélude si morne, si froid, si neigeux, du dernier acte de Werther ; l’entrée d’Alim poursuivi jusque dans le Paradis d’Indra par le regret de la vie et de l’amour ; surtout la libation funèbre d’Electre et le poignant Orestès des Erinnyes. Un peu frêle aussi, pour tant de misère et de honte, la triste mélodie de violon qui semble dicter à Fanny la lettre d’adieu qu’en s’éloignant elle laissera près de Jean endormi. Tout cela sans doute est bien ; ce n’est pas mieux. La fin de Sapho prendra sa place parmi les fins plaintives et solitaires que compte déjà le drame lyrique ; j’aurais aimé que cette place fût plus haute et plus éclatante.

Mais de ces pages même, ayant dit la faiblesse relative, je dirai le charme aussi : la simplicité de tout le dernier acte, le parti pris gardé jusqu’au bout de fuir l’effet et le bruit, la justesse de l’accent vocal, surtout en quelques phrases de Fanny, appelant sur les yeux de Jean le sommeil dont elle ne le verra pas s’éveiller. Il y a là certains mots,