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nouvelles de l’armée d’Egypte. Le général Berthier a débarqué à Fréjus avec le général en chef Bonaparte. » Ici, porte le compte rendu des Cinq cents, les cris de Vive la République ! interrompent la lecture ; l’assemblée entière est debout, « aux accens d’une musique guerrière », ajoute le journal officiel du Directoire. Dans les théâtres, ce furent des cris de joie, des transports orgueilleux. Les représentations s’interrompirent pour donner cours aux ovations, aux chants patriotiques. On s’embrassait en pleurant dans les rues. « Il semblait, rapporte un contemporain, que la France ne pût être sauvée que par lui ; le souvenir de ses exploits passés éclipsait les victoires récentes. » On ne parle que de son retour, portent les notes de police : « Les royalistes en gémissent et disent en soupirant : Nous voilà en république pour longtemps. Les exclusifs — lisez jacobins — disent au contraire qu’il vient en France pour river leurs fers. Les deux factions font tous leurs efforts pour calomnier les intentions de ce général et du Directoire, mais ils ne peuvent altérer la joie des vrais amis de la liberté. »

Sieyès avait pris son parti. Ne pouvant réussir s’il avait Bonaparte contre lui, il fallait qu’il eût Bonaparte avec lui. « Le sort en est jeté, dit-il à Lucien. Ce n’est plus le temps où cedant arma togæ ! Nous n’avons pas dans notre pays d’institutions publiques capables d’imposer des limites à l’enthousiasme de la foule… C’est autour de votre frère maintenant qu’il faut tous nous grouper. »


III

Arrivé à Paris le 16 octobre, au matin, Bonaparte se rendit à sa maison de la rue Chantereine ; puis, en costume civil, en redingote avec un cimeterre turc attaché par un cordon de soie, il alla saluer, au Luxembourg, Gohier, président du Directoire. L’entrevue fut courte et froide. Le surlendemain, vinrent, avec la réception officielle, les effusions de commande. Bonaparte justifia son retour par le salut de l’Etat, et jura, sur son épée, qu’elle ne serait jamais employée « que pour la défense de la République et celle de son gouvernement », serment qu’il était bien décidé à tenir lorsqu’il serait lui-même le gouvernement de la République. Gohier lui donna l’absolution directoriale : « Votre présence ranime dans tous les cœurs le sentiment glorieux de la liberté ! » La salle était remplie de citoyens.