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Ce n’est point seulement la liberté de l’homme à l’endroit de ses semblables ; c’est la liberté de l’homme à l’endroit de sa terre, à l’endroit de ses biens, qui, dans l’Italie contemporaine, commence d’être contestée, — ainsi qu’elle le fut, à toute époque, dans les anciens États Romains, où les papes menaçaient de mesures de rigueur, voire même de spoliation partielle, les propriétaires négligens[1]. Dans un livre fort pondéré sur les Forces économiques de la province de Catanzaro, je relevais plusieurs attaques contre « ces millionnaires et archimillionnaires qui, endormis sur leurs trésors, ne sentent pas l’aiguillon de l’activité et du travail », ces « très nombreux propriétaires qui, ayant pour eux le présent et l’avenir, se sentent dispensés du travail et de la recherche des améliorations, soit dans les pratiques agricoles, soit dans l’élevage », ces « privilégiés dont toute l’activité consiste à accumuler les épargnes considérables qu’ils font sur leurs revenus, pour acquérir des terres ou des titres de rente, sans autre peine que de percevoir les loyers ou de détacher à chaque semestre leurs coupons. » Ces invectives, qu’on inclinerait à croire d’un pamphlétaire, sont signées de M. le baron Marincola, le secrétaire de la chambre de commerce de Catanzaro. Il m’advint un jour, fourvoyé dans une petite gare calabraise par l’attrait de quelques ruines toutes prochaines, d’entendre un indigène s’excuser auprès de moi pour le mauvais état de la route qui m’y devait conduire ; il m’expliquait, avec vivacité, que les propriétaires d’alentour négligeaient de l’améliorer et décourageaient ainsi la curiosité des voyageurs : Canaglia questi ricchi ! s’exclama le pauvre homme. J’étais loin de trouver, sur ces lèvres ardentes, les vestiges de « bon esprit » que rencontrait encore il y a quinze ans, parmi les populations rurales des Calabres, M. le député Branca, rapporteur de l’enquête agraire. Mais ma surprise tomba bientôt : mon franc parleur me raconta, quelques instans après, qu’il avait naguère servi sur le zinc, à Ménilmontant ; il avait appris la souffrance en Calabre et désappris la résignation à Paris. Son interjection, d’où qu’elle vînt, m’illustra les réflexions de M. le baron Marincola.

Voici surgir d’autres échos : « En face de cette misère, dit une voix, en face de ce lamentable état des classes qui produisent, en face du désordre économique et moral qui en dérive, et qui

  1. Gabriel Ardant, Papes et Paysans, 2e édition. Paris, 1896.