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Sismondi et tel que le conservent encore, en quelque mesure, la Toscane et la Romagne, est passablement oublié dans l’Italie méridionale.

Même, en dépit des atteintes infligées au droit traditionnel du métayer, beaucoup de propriétaires calabrais ne supportent plus qu’avec impatience l’obligation de partager avec un travailleur, fût-ce par fractions inégales, le revenu du sol ; ils substituent volontiers à la collaboration du métayer la subordination, précaire et transitoire, de l’homme qui n’a que ses bras et qui s’appelle, avec une rigoureuse propriété d’expression, le bracciante, Journalier nomade et misérable, maltraité souvent et se traitant lui-même fort mal, ce bracciante, naguère, était surtout courbé sur des travaux d’assainissement, de bonificazione comme l’on dit ; on le mettait aux prises avec une terre mal apprivoisée. Il est, aujourd’hui, de plus en plus affecté aux travaux mêmes de la production, sous la gérance immédiate d’un intendant qui représente le maître lointain : adieu, dès lors, le fermier, adieu le métayer, adieu le colon : cette évolution s’inaugure dans plusieurs régions de l’Italie ; et jusques en Romagne, où les propriétaires, moins âpres au gain, ont longtemps maintenu, même à leur propre préjudice, le métayage archaïque[1], elle commence à se dessiner.

Mais comme chaque année l’émigration dérobe au royaume un certain nombre de ses enfans, voici déjà que l’on constate, dans quelques parties de l’Italie méridionale, une raréfaction de cet homme-outil : l’offre des bras, çà et là, est inférieure à la demande ; alors les salaires s’élèvent ; durant les jours où l’ouvrier agraire est occupé, il gagne 22 sous, 25, voire même 30, au lieu des 15 ou 18 que naguère on lui jetait. Sous l’ironique livrée de propriétaire minuscule ou de fermier, le paysan, parfois, agonisait de misère ; la livrée de prolétaire, peut-être, nourrit mieux son porteur. Le prolétariat agricole, en effet, voit sa condition s’améliorer, tandis que périclitent, au contraire, ces familles rurales qui conservent encore quelque goût pour la possession d’une parcelle de terre, miette du vaste présent divin. « Il est au pain blanc » : jusqu’à ces derniers temps, on disait cela, en Calabre, du paysan proche de mourir : le médecin ressuscitait l’appétit du pauvre hère par cette primeur inédite, un morceau de pain

  1. Comtesse Maria Pasolini, Una famiglia di mezzadri romagnoli (Bologne, 1891). — Monografie di alcuni braccianti nel comune di Ravenna (Rome, 1893).