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popularisé l’ancienne monarchie par ses écrits, avant de la servir par ses actes. C’était une force considérable qu’il donnait à la royauté, et Chateaubriand était naturellement disposé à se l’exagérer encore. Mais il ne tenait pas assez de compte de ce fait qu’il avait, à côté de lui et à la tête du conseil du Roi, un homme d’une très grande valeur, d’une capacité d’affaires hors ligne et d’une modestie relative, qui devait plaire beaucoup plus à un souverain âgé et valétudinaire qu’un ministre agité de rêves ambitieux pour son pays et pour lui-même. M. de Villèle et Châteaubriand ne pouvaient plus se trouver en présence l’un de l’autre dans le même cabinet, et il était clair que le jour où le Roi aurait à se prononcer entre eux, son choix ne serait pas douteux. Que ce fût sur la conversion des rentes, ou sur une autre question, une rupture paraissait donc inévitable.

Elle n’en a pas moins été funeste pour les uns et pour les autres, pour la royauté comme pour l’auteur du Génie du christianisme. La France avait un peu besoin de lui pour réapprendre, sans trop se déjuger elle-même, ces vieilles traditions de fidélité monarchique qu’elle avait oubliées depuis vingt-cinq ans. Un nouvel interprète de ses droits et de ses devoirs était nécessaire. Chateaubriand eût pu être cet homme. Les circonstances ne l’ont pas permis.

Mais son œuvre resta, et même après sa chute, le bénéfice de la campagne d’Espagne demeura acquis à la royauté. Quatre mois après, la France eut à traverser la difficile épreuve d’un changement de règne. Il s’effectua sans la moindre secousse et au milieu des témoignages émus de la population. C’était la première fois, depuis la mort de Louis XV, que, le 16 septembre 1824, on entendit les paroles sacramentelles prononcées par le grand maître des cérémonies : « Le Roi est mort, vive le Roi. » Il n’aurait dépendu que de Charles X quelles eussent pu être prononcées aussi sur sa tombe et que l’ère des révolutions n’eût pas à se rouvrir pour notre pays.

Au dehors, le nouveau règne conserva jusqu’à la fin le prestige que la campagne de M. le duc d’Angoulême avait assuré à la couronne. La France se retrouvait placée au premier rang, et l’opposition plus ou moins sourde que continuait à lui faire l’Angleterre nous rendit, avec la confiance de l’empereur Alexandre, celle des autres puissances continentales.

Grâce à cet appui moral, nous pûmes contribuer efficacement