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modifiés suivant le génie et les mœurs de chaque peuple, jusqu’à ce qu’en France, ils aient revêtu ce tour naïf et gracieux qui répond si bien au goût des enfans pour le merveilleux. Avec son amour de l’enfance, Perrault a senti que le goût de la jeunesse pour le merveilleux s’épanouit plus tard en fleur de poésie et de foi. C’est une des raisons, entre beaucoup d’autres, qui fera toujours rechercher ces chefs-d’œuvre par toutes les générations à venir. Cette nouvelle édition se distingue de toutes celles qui l’ont précédée par la variété des compositions, la diversité de leur conception, la familiarité et la naïveté touchante des unes, la noblesse des autres. L’illustration de chaque conte est l’œuvre d’un artiste différent ; leur choix fait honneur à l’habileté de l’éditeur.

Que dire qui n’ait été déjà dit d’une œuvre qui a suffi à rendre à jamais célèbre le nom de son auteur : du récit de cette aventure d’amour dont Loti fut le héros, de ce « mariage »[1] qui devait lui permettre d’étudier ce qu’il y a de primitif dans les usages et les paysages de Tahiti, dans les mœurs maories ; de percevoir la nature au travers de la sensation ; d’écrire ces pages d’un goût si rare, si ce n’est qu’il a voulu lui-même faire revivre de la vde de l’art, sous son crayon même, les êtres et les choses qui l’ont inspiré, donner une existence nouvelle à ces personnages, à ces tableaux familiers, à tous ces paysages de la Grande île, de l’Ile de la Reine ? Sans doute, on les connaissait trop pour pouvoir espérer jamais les retrouver tous mis en scène avec l’allure et la physionomie que leur a prêtées notre imagination, quand le poète nous décrivait Rarahu avec des yeux d’un noir roux, un nez court et fin comme celui de certaines figures arabes, des dents blanches qui conservaient encore les stries légères de l’enfance, cette teinte fauve uniforme tirant sur le rouge brique, celle des terres cuites claires de la vieille Étrurie. La difficulté semblait grande, pour ne pas dire insurmontable, de montrer tout cela, de représenter Rarahu-la-Rouge avec la vigueur du coloris exotique, alors que dans le roman, c’est plus que de la description et plus que de la peinture que nous avons trouvé ; et qu’à l’impression vague et multiple du poète, le dessinateur risquait fort de substituer une sorte d’image immobilisée. Aussi quel plus sincère éloge pourrait-on faire qu’en disant de l’artiste écrivain qu’il a parfois vaincu cette difficulté ? Tout le monde voudra comparer cette reproduction de la réalité prise dans la nature par l’auteur lui-même avec ses types imaginaires et posséder ce magnifique ouvrage où l’artiste a doublé le poète.

  1. Le Mariage de Loti. 1 vol. in-8o jésus, illustré par l’auteur et M. A. Robaudi ; Calmann Lévy.