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En même temps que le pays venait de donner par ses votes une éclatante approbation à la politique du gouvernement, la prospérité du crédit de l’Etat augmentait tous les jours. La rente 5 p. 100, péniblement émise en 1815 au taux de 58, et qui au moment de l’expédition d’Espagne n’atteignait que le chiffre de 78, avait dépassé le pair, malgré la connaissance que l’on avait du projet d’une prochaine réduction de l’intérêt de 5 à 4 p. 100. « Les cours se seraient même élevés à 110, peut-être à 115, si le gouvernement, dans sa loyauté, n’avait pas cru devoir faire connaître ses intentions de convertir la rente[1]. »

C’est, malheureusement, sur cette question de la conversion de la rente où les droits de l’Etat ne sont plus aujourd’hui contestés, mais qui troubla à ce moment toutes les têtes, qu’allait éclater, comme on le sait, le malheureux dissentiment qui, en écartant Chateaubriand du ministère, devait porter un coup funeste à la monarchie elle-même.

Je n’ai pas à refaire ici l’historique de cette triste séparation, bien connue de toutes les personnes qui auront pris la peine de lire ces lignes. Nous n’avions, il y a quelques années, comme témoignages formels, pour en retracer l’histoire, que les dramatiques récits de Chateaubriand lui-même dans ses Mémoires d’Outre-Tombe et dans son Congrès de Vérone. La contre-partie nous manquait. Aujourd’hui, les Mémoires de M. de Villèle ont été publiés. Il s’y montre naturellement beaucoup plus réservé que son ancien collègue sur la question qui amena leur rupture ; mais il cite à la charge de ce dernier deux faits d’une importance réelle et dont il est impossible de ne pas tenir compte. Le premier, ce sont les paroles très dures qu’il place dans la bouche même du Roi, sur le compte de Chateaubriand, au moment où Louis XVIII fit chercher M. de Villèle et l’obligea à contresigner le renvoi de son ministre des allaires étrangères. Le second est le fait, plus grave selon moi et tout à fait inconnu jusqu’alors, que Chateaubriand aurait été celui des collègues du président du conseil « qui, au début, l’avait le plus pressé et le plus importuné pour conclure l’opération de la conversion de la rente avec les banquiers et n’avait jamais depuis manifesté au conseil le moindre changement dans son opinion en faveur de la conversion[2]. »

  1. Viel-Castel, tome XIII, page 189.
  2. Villèle, Mémoires, tome V, pages 40 et 41.