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Qu’on ne croie pas, toutefois, que, pour se faire ainsi familièrement, la guerre de Sécession en ait été moins sérieuse, ni même moins terrible. C’était une vraie guerre, et où l’existence même de la nation était remise en jeu : Grant avait sous ses ordres une armée de près de six cent mille hommes. Durant les deux derniers mois de la campagne, l’armée nordiste avait perdu 1 316 hommes, 7 750 avaient été blessés, et 1 714 faits prisonniers. L’ennemi avait subi des pertes plus grandes encore. Les Souvenirs du général Porter abondent, du reste, en récits de morts, dont quelques-uns, comme celui de la mort du général Sidgwick, égalent en intensité d’émotion les passages les plus pathétiques de Ségur ou de Marbot. Et je connais peu de scènes tragiques d’un effet aussi saisissant que celle de la première entrevue de Grant avec le général Lee, contraint, après une résistance désespérée, d’implorer la générosité de son adversaire. Ce sont, à toutes les lignes, des détails navrans, d’autant plus navrans qu’ils sont plus précis, et que l’auteur nous les présente sous une forme plus simple. « En sortant de la maison où il venait de signer l’aveu de sa défaite, Lee s’arrêta un moment sur le perron. Nous vîmes qu’il considérait avec tristesse la vallée qui s’étendait à ses pieds, la vallée où campait son armée, — à présent une armée de prisonniers. — Trois fois il frotta machinalement la paume de sa main gauche avec le pouce de l’autre main, et puis il resta immobile, perdu dans une profonde rêverie. Quand enfin il se remit, le général Grant sortit de la maison ; nous le suivîmes tous, et, nous approchant du malheureux, nous nous découvrîmes silencieusement. Lee nous rendit notre salut, et, montant en selle, il partit annoncer la désastreuse nouvelle à ses braves soldats. »


J’aurais voulu indiquer encore une autre des conclusions générales qui ressortent de ces attachans Souvenus du général Porter ; mais celle-là serait sans doute trop longue à développer, et peut-être son développement exigerait-il une compétence et une autorité qui me manquent : car il ne s’agirait de rien moins que de dégager de ces douze articles, pleins d’anecdotes et de menus traits, un jugement d’ensemble sur la personne du général Grant. Ce jugement, l’auteur américain ne se fait pas faute de le formuler lui-même à plus d’une reprise ; et il ne tient qu’à nous de répéter, après lui, que le vainqueur de Petersburg était un homme de génie, « digne de figurer au premier rang parmi les plus grands capitaines que le monde ait connus. » Un autre des héros de la guerre de Sécession, le général Sherman, — qui paraît bien, celui-là, avoir été un véritable héros, — disait de Grant qu’il