Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 144.djvu/935

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ou plutôt ce n’est pas à nos guerres modernes que ressemblait cette guerre américaine, mais aux luttes antiques, telles que nous les décrivent Hérodote et Tite-Live, pour ne pas dire à la guerre de Troie. Aussi bien le souvenir de ces luttes vénérables s’impose-t-il fatalement à l’esprit, quand on lit, dans le beau récit du général Porter, le détail des relations de Grant avec les autres généraux de son armée, de ses relations avec ses soldats, de ses relations avec les chefs et les soldats ennemis, les hivernages, les escarmouches, la lenteur des préparatifs, la simplicité familière des sentimens et des mœurs. On a peine à croire que les faits où l’on assiste soient de date si récente, et aient pour acteurs des citoyens des États-Unis, compatriotes de M. Vanderbilt et de M. Edison. Une immense armée ne formant qu’une seule famille, les officiers partageant la vie de leurs hommes aussi bien au camp que sur le champ de bataille, une discipline rigoureuse, mais résultant plutôt de l’assentiment de tous que de l’autorité d’un seul, l’absence complète de toute ostentation, tels sont les traits qu’on retrouve à chaque ligne dans les souvenirs de l’aide de camp de Grant ; et je ne m’étonne pas que, pour nous dépeindre ces mœurs guerrières d’une ingénuité vraiment classique, l’auteur en soit venu quelquefois à employer jusqu’aux formules et aux images d’Homère. Voici, par exemple, le récit qu’il nous fait de la grande revue militaire passée à Washington par Grant et le président Johnson, le 23 mai 1865, après la victoire finale : « En tête de la colonne chevauchait Meade, couronné des lauriers de quatre années de combats... Puis venait la cavalerie, ayant à sa tête le brave Merritt, qui la commandait en l’absence de Sheridan. Au premier rang des chefs de division était Custer... A deux cents yards de la tribune présidentielle, son cheval s’emporta, et on le vit s’élancer furieusement en avant des troupes : mais il avait trouvé plus fort que lui dans son maître, et bientôt il fut dompté, obligé à reprendre son rang... Après la cavalerie apparut Parke, justement fier des prouesses du neuvième corps, qui le suivait ; puis Griffith, chevauchant à la tête de l’intrépide cinquième corps ; puis Humphreys et le second corps, d’une valeur sans pareille... »

Achille, Patrocle, Nestor, Agamemnon, ou encore les Fabius et les Scipion de Tite-Live, c’est à eux que font songer, en effet, ces braves et naïfs généraux des troupes de l’Union. Quoi de plus primitif, par exemple, que l’hivernage de Grant et de son armée à City-Point, sur les bords du fleuve James, à mi-chemin des villes de Richmond et de Petersburg, toutes deux occupées par les troupes de Lee ? « Les tentes, qui étaient très usées, avaient fini par devenir inhabitables à