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sans grand souci de leur suite. Mais c’est là simplement, — on ne tarde pas à s’en apercevoir, — un artifice américain pour rendre plus facile la lecture du récit ; car le récit lui-même est au contraire suivi, comme nous l’avons dit, presque d’heure en heure, nous faisant assister aux moindres détails de la vie de Grant et de son armée durant cette période décisive de la fameuse campagne. Et nous ne saurions trop louer l’art à la fois simple et sûr avec lequel l’auteur a su le varier sans cesse, trouvant toujours pour ses portraits, ses jugemens et ses anecdotes la place qui convenait à les mettre en relief. On ne s’ennuie pas un instant à lire ces douze longs articles, si étranger que l’on soit au sujet dont ils traitent. J’y ai pris pour ma part un plaisir parfait, comme aux plus vivans souvenirs militaires du premier Empire. Vivans, voilà ce qu’ils sont avant toute autre chose ; aucun mot He pourrait les mieux définir. Et non seulement ils évoquent aux yeux du lecteur une foule d’événemens tragiques ou familiers, des batailles, des sièges, des explosions de mines, des revues, des conversations de chefs et de soldats, mais il s’en dégage encore quelques impressions d’un ordre plus général, que je vais essayer d’indiquer brièvement, car elles me paraissent avoir de quoi intéresser autant les lecteurs français que les compatriotes du général Porter.


Il y a même une de ces impressions qui ne saurait manquer d’être plus vivement ressentie par nous que par le public américain, étant pour nous plus nouvelle, et plus imprévue. C’est celle que nous produit le spectacle du caractère spécial de la guerre de Sécession, et du contraste de ce caractère avec celui que, dans notre ignorance, nous nous plaisions à lui attribuer. Nous sommes, en effet, tellement accoutumés à concevoir les États-Unis comme la patrie du phonographe, des ascenseurs, de la machine à écrire, et des Pullmann Cars, qu’il nous semble que la guerre même doit s’y faire à l’américaine, rapidement, commodément, avec tout un système d’inventions singulières. Et nous sommes stupéfaits de voir combien, au contraire, la guerre de Sécession ressemblait peu à ces guerres perfectionnées, dont les romanciers de l’école de M. Jules Verne nous offrent de temps à autre un tableau fantaisiste. C’était une guerre pareille aux nôtres, longue, fatigante, pleine de hasards, et contraignant chacun à payer de sa personne. Les inventions n’y avaient point de rôle : on ne s’y battait pas en ballon, ni en bateau sous-marin, mais dans un champ, dans un bois, on sous les murs d’une ville ; et l’électricité même n’avait guère l’occasion d’y servir, les fils du télégraphe étant, le plus souvent, coupés.