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il n’a pas fallu à la revue américaine The Century Magazine moins de douze mois, de novembre 1896 à octobre 1897, pour faire paraître dans son entier son énorme récit.

Énorme et cependant trop court au gré de ses lecteurs, si l’on en juge par le vif et constant succès qu’il a obtenu auprès d’eux. Depuis le premier article jusqu’au dernier, toute la presse des États-Unis l’a cité, commenté, discuté ; et je ne vois chez nous que la publication des Mémoires de Marbot qui ait, dans ces dernières années, maintenu la curiosité aussi longtemps en éveil. Succès d’ailleurs très légitime, et qui s’explique par plus d’une raison : car, outre que la guerre de Sécession est sans aucun doute, avec la guerre de l’Indépendance, le fait le plus important de l’histoire des États-Unis, tout ce qui touche à Grant offre, cette année, un surcroît tout spécial d’actualité. C’est en effet il y a quelques mois, le 27 avril 1897, qu’a été solennellement inauguré à New-York le monument funèbre du vainqueur de Vicksburg et de Petersburg, un immense monument élevé aux frais d’vine souscription nationale qui a eu précisément pour promoteur le général Porter. Aussi ne s’est-on pas fait faute de parler de Grant, ces mois passés, dans les journaux et les revues des États-Unis. On a raconté sa jeunesse, reconstitué la série complète de ses ascendans, rassemblé et confronté ses portraits. Il a été, en toute façon, « l’homme de l’année ». Mais personne ne l’avait mieux connu que le général Porter, personne n’avait plus d’autorité pour le faire connaître. Son nom aurait suffi, à lui seul, pour attirer sur ses Souvenirs une attention toute particulière.

La cause principale de leur succès est, toutefois, dans leur valeur propre. Et si même l’homme qui les a écrits n’avait pas été le plus intime confident de Grant, s’ils n’avaient point, de ce fait, toute l’importance d’un document historique de premier ordre, c’est encore à eux que serait allée de préférence la curiosité du public. Ils sont aussi amusans qu’instructifs, rapides, colorés, élégans, et d’une remarquable tenue littéraire. La direction du Century Magazine a eu l’idée singulière, — ou tout au moins singulière pour nous, — de les découper en petits paragraphes d’une vingtaine de lignes, chacun revêtu d’un titre spécial, ce qui ne laisse pas, au premier abord, d’effarer quelque peu le lecteur européen. On voit, par exemple, se succéder en quatre pages sept ou huit de ces chapitres minuscules, sous les titres de : le Camp de Grant à City-Point, Grant à table, la Première Visite de Lincoln à l’armée de Grant, l’Attaque de la voie ferrée de Weldon, John Smith sauvé par Pocahontas, etc. ; et l’on s’imagine avoir affaire à quelque chose comme un recueil d’anas, alignés bout à bout