qu’ils recommençaient, avec toute sorte de changemens dont plusieurs n’étaient pas des acquisitions, l’œuvre des classiques, et par-dessus les siècles tendre la main, avec Flaubert, à « ce vieux croûton de Boileau ! » C’est tout juste s’ils se recommandent de leurs prédécesseurs immédiats. Balzac leur est un ancêtre suffisant. Même, qui parle d’ancêtres ? Leur prétention est de ne relever que d’eux-mêmes et de la science. Ils veulent n’écrire que sous la dictée immédiate de la nature. Mais la nature existe-t-elle par elle seule, indépendamment des consciences où elle s’est reflétée, et cette mélancolie dont les paysages sont imprégnés n’est-ce pas celle qu’y ont laissée flotter derrière elles des générations de rêveurs ? Mais la moindre des idées qui s’ébauche en nous n’est-elle pas le résultat d’expériences accumulées à travers les siècles ? Mais les mots dont nous nous servons, ne se sont-ils pas ou chargés de matière, ou vidés de leur sens, en passant sur les lèvres de tant d’hommes qui nous ont précédés ? Quelle folie de croire qu’on ouvre des yeux tout neufs sur un monde né d’hier ! Et quel est l’illogisme d’une conception si enfantine, chez des écrivains qui font tant de bruit de la doctrine de l’hérédité ! Aussi, tandis que Gautier, Flaubert, les Parnassiens s’étaient montrés avant tout soucieux de la probité du style et de la perfection de la forme, les romanciers naturalistes ont laissé peu à peu se perdre les qualités d’art ; le roman, tel qu’ils l’ont légué à leurs successeurs, est devenu un article de confection vulgaire, déprécié d’autant. Ils se sont vantés d’avoir bousculé beaucoup de conventions. Comme si les conventions, en disparaissant, n’étaient pas aussitôt remplacées par d’autres ! L’art dans son développement historique est cela même : un système de procédés de plus en plus délicats et, si l’on veut, plus artificiels, pour atteindre à plus de simplicité et serrer de plus près la nature.
Est-il besoin de montrer maintenant ce que la critique doit, elle aussi, à la connaissance du passé ? On n’invente pas de toutes pièces une esthétique ; on ne bâtit pas de théories sans les fonder sur une histoire de l’art : on ne porte pas de jugemens sans leur donner de solides assises ; on ne discerne pas où vont les choses si on ne sait d’abord d’où elles viennent. C’est pour avoir vu comment meurent les œuvres, et comment les dogmes se transforment, qu’on devient impartial — et indulgent. Tandis que les naturalistes ont sommairement exclu et brutalement anathématisé tout ce qui ne rentrait pas dans leurs formules, nous sommes plus justes envers eux, prêts à reconnaître et même à leur expliquer que tout ne périra pas dans leur œuvre et que leur effort n’aura pas été entièrement perdu.