Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 144.djvu/92

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

étrangères lui dit en riant : « Eh ! sir Charles, faites comme nous, reconnaissez la régence et que sir William A. Court vienne rejoindre ses amis et cesse de boire de la mauvaise eau dans les citernes de Cadix[1]. »

Il était condamné pourtant à en boire jusqu’à la lie et à assister de sa personne, sans pouvoir les empêcher, aux derniers outrages dont les révolutionnaires espagnols couvrirent le roi Ferdinand jusqu’à sa délivrance. Mais si M. Canning n’avait pu arrêter notre intervention, grâce à la rapidité de notre campagne militaire et à l’appui moral de la Russie, il s’en vengea, comme on le sait, en reconnaissant l’indépendance des colonies espagnoles dont la plupart, sinon la totalité, ne se seraient pas séparées de la mère patrie, ou seraient revenues sous sa domination, si elles n’avaient pas senti derrière elles la main de l’Angleterre. Chateaubriand fit tous ses efforts pour l’empêcher et il n’est pas prouvé qu’ils eussent été stériles, s’il était demeuré au pouvoir. Mais malheureusement, c’était un résultat de longue haleine qui ne pouvait être obtenu que par une longévité ministérielle, malheureusement en dehors de nos habitudes nationales, et que nos adversaires, comme on a pu le voir dans ce récit, auront trop souvent le privilège d’exploiter contre nous. Son idée de faire de ces colonies des monarchies bourboniennes dut être abandonnée et on ne sait vraiment pas, quand on constate dans l’histoire, depuis cette époque, la périodicité de leurs révolutions et leurs guerres intestines, si l’idée de Chateaubriand n’était pas, en définitive, beaucoup plus favorable à leur prospérité que le système patronné par l’Angleterre. Quoi qu’il en soit, je crois avoir démontré, par ce qui précède, l’impression favorable que notre intervention en l’Espagne avait produite au dehors. Il me reste, pour terminer cet aperçu historique, à dire un mot du contrecoup qu’elle exerça sur notre politique intérieure et sur la position personnelle de Chateaubriand.

Le succès est toujours une grande force pour un homme, comme pour un parti. Celui de la campagne d’Espagne avait donné au parti royaliste, en France, un prestige qu’il n’avait pas connu jusqu’alors, en réduisant pour ainsi dire à néant la valeur des oppositions coalisées auparavant contre lui : « Ses adversaires semblaient avoir disparu et des hommes qui, jusqu’à ce moment,

  1. Notes de mon père.