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roches et les galets, en raguant le fond, ont creusé dans le calcaire un large sillon, qui ne pouvait être rectiligne, en raison des contreforts qui s’avançaient dans la vallée, mais dont les courbures étaient moins accusées que celles du thalweg actuel.

Ce fait résulte d’une loi générale qui lie les rayons de courbure à la vitesse et au volume des eaux[1].

Cet ancien et large sillon calcaire a été recouvert ultérieurement, au fur et à mesure que le débit du fleuve diminuait, d’une couche épaisse de sable, de gravier et de boue qui constitue le lit actuel. Ces matériaux peuvent être extraits à des prix peu élevés, le tracé du canal sera fait en l’écartant dans les coudes de la rive concave, c’est-à-dire en lui donnant un plus grand rayon de courbure. En ajoutant la profondeur obtenue par des dragages à celle des barrages, on peut donner au fleuve une profondeur supérieure à 6 mètres.

On pourrait certes aussi affouiller le calcaire, qui en certains points ne présente pas une grande dureté, mais il y a là un aléa, et l’opération sera reculée jusqu’au moment où la barre extérieure de la Seine sera approfondie, au moment où Rouen recevra des transatlantiques.

La Seine présente enfin une autre condition favorable à l’arrivée à Paris des navires de mer. Son étiage n’y est qu’à 17 mètres au-dessus du niveau des marées de syzygies à Rouen. Celles-ci, avant la construction des écluses de Martot et de Poses, se faisaient sentir jusqu’à Andé, c’est-à-dire à 58 kilomètres en amont de Rouen et à 160 kilomètres de Paris.

Cette hauteur de 17 mètres peut être franchie au moyen d’un petit nombre d’écluses, puisque nos ingénieurs n’hésitent pas à en construire aujourd’hui de 10 mètres, et, au point de vue du mouvement des navires, on sait que les capitaines n’aiment pas beaucoup à aborder ces ouvrages, il faut leur en présenter un nombre aussi réduit que possible.

Ainsi en nous résumant : maintien, dans la mesure du nécessaire, de la stabilité du fond du fleuve ; creusement facile de son lit dans des alluvions anciennes ; peu de hauteur à franchir pour venir jusqu’à Paris ; — telles sont les conditions favorables qu’offre la Seine, pour faire de la capitale un port véritablement maritime.

  1. Il est contrôlé dans la Seine, en ce que le calcaire, couvert par des alluvions, se trouve à une plus grande profondeur sur le côté convexe des rives, dans les coudes, que sur l’autre bord.