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durs que fussent les reproches faits à l’administration, ils avaient un fondement de vérité. » Il faut agir, ajoute-t-il, et faire des ouvrages solides, mais « le luxe doit être sévèrement proscrit dans nos travaux et nous devons nous efforcer de faire non des monumens splendides, mais d’utiles et commodes outils. »

Le projet nouveau arrivait à une heure où Rouen, grâce aux dragages exécutés en aval de lui, pouvait recevoir de grands navires ; et des préoccupations budgétaires empêchèrent probablement M. Krantz de prendre à Belgrand ses deux idées principales : ouvrir tous les ponts, faire arriver à Paris les navires remontant à Rouen. Il s’arrêta à l’ancienne profondeur de la Seine en aval de Rouen, s’interdisant, par la hauteur adoptée pour les seuils des écluses, toute amélioration ultérieure. Chose à noter, ces propositions ne furent pas adoptées sans opposition par le conseil général des Ponts et Chaussées ; il paraissait, à plusieurs des membres qui le composaient, qu’une voie de 3 mètres de profondeur placée au milieu d’un réseau de canaux dont la hauteur ne dépassait pas 1m,80, constituait une anomalie aussi grande que celle qui aurait consisté à écarter de 2 mètres les rails de la voie ferrée entre Paris et Orléans. Certes, un tel chemin de fer offrirait une plus grande stabilité aux machines et aux wagons, il permettrait d’avoir des vitesses de trains plus grandes ; mais, à l’extrémité, il faudrait un transbordement, et les inconvéniens seraient supérieurs aux avantages.

Cette critique était fondée, mais une forte pression avait été faite sur le public et sur le gouvernement ; des conférenciers déclaraient qu’il fallait agir, que des caboteurs pourraient venir en nombre alimenter le port de Paris, et le projet fut voté par la Chambre des députés à la suite d’un rapport de M. Dautresme, député de Rouen, dont il est utile de donner quelques extraits. « Une première distinction, dit-il, doit être faite entre Rouen et Paris, le premier port recevant de grands bâtimens, l’autre, à la grande rigueur, admettant des caboteurs.

« Que, grâce au tirant d’eau de 3 mètres, des navires d’un faible échantillon viennent s’amarrer aux quais de Paris, ce résultat nous paraît possible, sinon même assuré ; mais que, par cela seul, Paris devienne une ville maritime, un grand port fréquenté par la marine au long cours et en relation directe avec tous les ports du monde, un immense entrepôt où convergera la navigation de l’univers entier, voilà qui excède toutes les probabilités. »