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retrouver contre nous la résistance du siège de Saragosse et tous les sombres drames, où le génie de Napoléon rencontra pour la première fois la fatalité historique, qui devait briser, trois ans plus tard, sa puissance dans les plaines glacées de la Russie. Ferdinand VII et l’armée française étaient, au contraire, en accord tacite avec cette majorité qui ne comprenait le pouvoir royal qu’avec l’absolutisme. Aussitôt après sa délivrance, le 2 octobre, à Cadix au port Sainte-Marie, quand les deux princes se turent rendus au palais préparé pour les recevoir, M. le duc d’Angoulême aborda immédiatement et avec toute la franchise militaire la question de l’amnistie et des institutions libérales à accorder à l’Espagne. Dans ce moment, une troupe d’enfans se mit à crier sur la place voisine du palais : « Viva El Rey neto ! Vive le roi absolu ! » — « Entendez-vous, dit Ferdinand au duc d’Angoulême, tous, jusqu’aux enfans, me demandent de reprendre le pouvoir absolu. C’est le vœu de la nation ! »

Je trouve également dans la correspondance de notre ambassadeur à Madrid[1], ces curieuses paroles prêtées au Roi quand il était encore à Cadix. C’était l’avant-veille de sa libération et après la prise du Trocadéro, qui précéda, on le sait, de quelques jours seulement sa mise en liberté. Les Cortès révolutionnaires, qui le tenaient encore entre leurs mains, exigeaient pour s’en dessaisir, la signature d’une amnistie. « Captif, je signerai, dit-il, tout ce qu’ils voudront. Libre, aurait-il ajouté en frappant sur sa table, je les poursuivrai jusqu’à la septième génération. » Et malheureusement, il tint parole.

Le gouvernement du roi Louis XVIII ne pouvait donc espérer, en rétablissant Ferdinand VII sur son trône, réconcilier, dans une pensée de modération et d’oubli, le souverain et les hommes qui lui avaient été hostiles. Ce grand pays devait attendre longtemps encore, et après avoir traversé bien des tourmentes, le gouvernement réparateur qui est aujourd’hui à sa tête. A ce moment, il ne pouvait être question pour nous de le lui donner et nos ambassadeurs eurent continuellement à lutter, avec plus ou moins d’insuccès, contre le mauvais vouloir du Roi, qui ne cherchait dans le pouvoir qu’un moyen d’exercer de sanglantes représailles contre ses ennemis vaincus.

Était-ce une raison pour regretter l’expédition entreprise par

  1. Correspondance du marquis de Talaru. (Archives des Affaires étrangères.)