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pas, comme disent ses adversaires, la seule maison de jeu tolérée chez nous ? Il y a, hélas ! bien d’autres jeux et d’autres paris que ceux de la Bourse ; et, malgré tous ses vices, le jeu de Bourse sur les valeurs, rentes, mines ou banques, n’est peut-être ni le plus désastreux, ni le plus démoralisant, parce qu’il n’est ni le plus répandu, ni le plus accessible.

Le jeu, sous toutes ses formes, sévit dans toutes les classes. Les cercles les plus haut cotés en vivent ; chez tous, c’est la « cagnotte » qui paye les fastueux hôtels et la table délicate des clubs à la mode. Stations d’hiver ou stations d’été ont également leurs maisons de jeu, ouvertes à tous ceux qui ont quelque chose à perdre. Une saison d’eaux est, le plus souvent, une saison de jeu. Le jeu, pour le plus grand nombre, fait partie de la cure. « Le baccara et les petits chevaux font souvent plus de mal à nos baigneurs et à nos baigneuses que nos eaux ne leur font de bien », me confiait un médecin de Vichy. Pas de ville d’eaux, pas de plage qui n’ait le soir, au casino, table de baccara ou table d’écarté chargée de louis d’or ou d’écus de cent sous ; j’avoue que, pour ces maisons publiques, la tolérance de la police me semble excessive. Je voudrais voir se former une ligue contre ces élégans tripots de Paris ou de province, où le jeu n’est pas toujours le seul vice qui trouve abri. Et qu’on veuille bien le remarquer, au cercle ou au casino, comme au café, on est en face du jeu dans toute son indécente nudité, sans rien qui en pare la laideur ou en dissimule le vice, sans rien qui le relève d’une apparence d’utilité, — un jeu même où l’on triche, où grecs et aigrefins ont libre accès, un jeu où les dés peuvent être pipés impunément.

Si encore le mal n’atteignait que les classes riches et aisées pour lesquelles l’hypocrite consigne mondaine est d’avoir l’air de faire fi de cet argent souvent si pénible à gagner ! Mais les bourgeois ou les capitalistes sont-ils les seuls qui jouent ? peut-on dire que ce soit là un vice de riches ? Comment ne pas songer ici aux courses, — aux courses qui ont pris, sous la troisième république, une si grande place dans nos mœurs ? Elles intéressent presque autant le populaire que les sportsmen, et ce qui passionne jeunes gommeux ou camelots faméliques, c’est uniquement les paris. Ici encore, le jeu s’est démocratisé. Le vice est descendu du beau monde au fond des masses. Il a passé, d’abord, des gentlemen de race, des propriétaires de haras et des riches éleveurs aux entraîneurs, aux palefreniers et aux valets d’écurie ; il atteint