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y a syndicat et syndicat ; il en est de licites, il en est d’utiles et même de nécessaires[1], comme il en est d’illicites, comme il en est d’indélicats, voire de criminels. Le mal est que l’ignorance du public ne sait pas discerner ce qui est légitime de ce qui ne l’est point. Il confond, dans ses suspicions, les syndicats utiles et les malfaisans ; il assimile les honnêtes gens aux malhonnêtes, et, par là même, il tend à écarter les premiers des affaires, et à rendre la loi ou l’opinion moins sévères pour les méfaits des seconds. D’un procédé fort légitime en soi, des syndicats d’émission, — sans lesquels les fluctuations de la Bourse et les incertitudes de la politique arrêteraient souvent, à leur naissance, les affaires les plus loyales, — la cupidité, il est vrai, fait trop souvent un instrument de corruption.

Au lieu que le syndicat soit créé pour l’affaire, afin d’assurer le placement des actions, il arrive parfois que l’affaire est créée pour le syndicat, afin de donner, à un groupe d’aigrefins, l’occasion d’encaisser des primes sur le dos du public. Que de fois a-t-on vu les syndiqués, après une souscription publique fictive, annoncer faussement que l’émission avait été couverte plusieurs fois, garder en caisse la presque totalité des titres, les faire prôner par la presse et monter à la Bourse, à l’aide de manœuvres plus ou moins frauduleuses, pour les écouler, peu à peu, dans le public, à des prix de plus en plus élevés ! Au besoin, on traîne l’affaire durant des années, et si elle est trop scabreuse, on compte sur la prescription pour échapper aux responsabilités.

Tous les syndicats de garantie ne sont pas de cette sorte, et l’abus n’en doit pas faire condamner l’usage. Pour qu’un syndicat soit légitime, la première chose est que les syndiqués garantissent, efficacement, la souscription de la valeur offerte au public, par conséquent, qu’ils courent un risque : la rémunération qui leur est accordée n’est que la juste compensation des risques qu’ils ont courus. On doit condamner tout syndicat dont la garantie est nominale ou fictive, — fût-ce parce que la souscription garantie par lui est au-dessus de ses forces. — ou encore tout syndicat qui, sur une affaire, prélève des sommes hors de proportion avec ses risques. C’est un étrange abus que de voir des hommes

  1. Ainsi les syndicats de garantie des grands emprunts de liquidation après la guerre franco-allemande. Grâce à ces syndicats, les grandes maisons de banque n’étaient pas seulement intéressées à la souscription de l’emprunt, mais aussi au maintien des cours du change, ce qui était essentiel.