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jour durant ces dernières années, par de retentissans procès ? Le souvenir en est encore dans toutes les mémoires. Les émissions sont la grande aubaine des entrepreneurs de publicité ; ils en tirent tout ce qu’ils en peuvent extraire. Leurs exigences ont rendu toute émission fort onéreuse ; les meilleures affaires en sont grevées de frais énormes et en pâtissent parfois longtemps. Quant aux mauvaises ou aux suspectes, elles ne peuvent séduire le public qu’avec le concours de ce qu’il y a de moins recommandable parmi les journaux et parmi les journalistes, si bien qu’on peut dire qu’une certaine presse est de moitié dans toutes les indélicatesses, voire dans tous les brigandages des émissions financières.

En dehors de la presse politique qui n’est pas sans péché, il y a en effet toute une petite presse financière qui ne vit que d’allocations, de mensualités, de réclames ou de chantage. D’habitude, ses prix d’abonnement sont si bas qu’ils couvrent à peine les frais d’impression ; certaines de ces feuilles hebdomadaires coûtent un franc ou deux par an. Le plus curieux, c’est que cela n’entame pas la confiance des cliens ; ils croient aux bons avis de ces directeurs financiers, les consultent volontiers pour le placement de leurs économies. Ils ne comprennent pas que ces guides sont des égareurs, et ces pilotes des pirates. Une anecdote à ce propos. C’était à une époque de fièvre spéculative, quelques semaines avant la chute de l’Union générale. Je rencontrai sur le boulevard un ancien camarade de collège, catholique de naissance et Français de vieille souche, que je n’avais pas vu depuis des années. M’ayant reconnu, il m’arrêta pour me raconter qu’il « s’était mis à la Bourse et qu’il était entré dans une maison qui marchait fort bien. » — « Nous avons un journal, disait-il, qui tire déjà à 40 000 ; il est vrai que l’abonnement n’est pas cher, il est gratuit ; mais nous semons pour récolter. Dans quelques semaines nous passerons aux émissions, et nous avons deux ou trois petites affaires qui rempliront la caisse. » Quelques semaines plus tard, venait le « krach » de l’Union générale ; l’heure des émissions était passée ; mais, dans l’intervalle, une foule d’affaires suspectes avaient été lancées à Paris et en province, et le public restait gavé de mauvais papier.

La basse presse et la basse finance ne sont pas les seuls coupables. Les émissions faites sous le couvert des grandes banques ne sont pas toujours à l’abri de tout reproche. Les établissemens