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sont ceux qui, ainsi que les Frédéric II ou les Bismarck, savent s’arrêter, borner leur fortune à leurs forces et à leurs ressources. Et, en finance, tout comme en politique, la durée d’une maison, le maintien de sa prospérité est, le plus souvent, la preuve et l’effet de sa sagesse.

De grandes banques, de grands établissemens qui ont croulé sous le coup de spéculations téméraires, il est facile d’en citer, en Europe comme en Amérique. Sans remonter à des âges lointains, la France n’a-t-elle pas assisté à la chute du Crédit Mobilier, en son temps, un des maîtres du marché ? à la faillite de l’Union Générale, météore brillant, que ses partisans saluaient comme une puissance irrésistible ? puis à l’effondrement soudain d’une maison plus sérieuse, plus sage, universellement réputée la plus solide de la place, l’ancien Comptoir d’Escompte, entraîné par la défaite du syndicat des métaux ? Et comment croire à l’invulnérabilité de la haute Banque, après la catastrophe de la maison Baring, long- temps regardée comme la première banque du Royaume-Uni, on pourrait dire comme la première du globe ? Elle était si haut placée dans l’estime du marché, qu’elle paraissait au-dessus de la région où peuvent atteindre les orages de Bourse ; et cependant, pour forcer les Baring à déposer leur bilan, il a suffi qu’ils se fussent engagés outre mesure dans les affaires sud-américaines. De tels exemples, — et l’Angleterre, et l’Allemagne, et les États-Unis nous en fourniraient d’autres, — montrent assez ce que vaut la prétendue immunité de la haute Banque. La vérité est qu’il n’y a pas de puissance financière à l’abri des risques et à couvert des pertes ; que les sages restent seuls au-dessus des revers de fortune ; qu’à la Bourse, tout comme ailleurs, et souvent plus vite et plus durement qu’ailleurs, toutes les fautes et les erreurs se payent. Et cela est justice. Il n’est financier si grand, semble-t-il, qui puisse, impunément, se permettre de défier le sort. Il en est de la Bourse comme de l’histoire et de la nature ; elle est immorale, ou mieux elle est amorale, en ce sens que le vice n’y est pas toujours puni et la loyauté toujours récompensée ; mais, tout comme l’histoire, elle a sa moralité et sa justice, en ce sens que nul ne saurait s’y montrer malhabile, téméraire, brouillon, sans en recevoir le châtiment. Encore, en dépit du préjugé vulgaire, la probité, la loyauté, tout comme le travail et comme l’intelligence, sont peut-être plus utiles au succès en finance qu’en politique.