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LA CLOCHE
QUI PARLAIT AUX SOLDATS

CONTE DE NOËL

La saison et le lieu étaient également farouches, — le cœur même de l’hiver, une sourde et mystérieuse forêt de cette Russie encore inconnue à l’Europe, la vieille Russie de par delà la Volga. — Dans ce décor sauvage, une scène abstraite et sans date : des hommes emmitouflés, encapuchonnés, lourds et velus comme des bêtes, allaient sous les branches toutes blanches, ramures éclatantes, végétations du ciel qui tendaient par-dessus ce groupe sombre une féerie de glace et de soleil. Le chef, à deux pas devant les autres, cherchait des yeux l’horizon, et, rien qu’en marchant, montrait la route ; les autres, en tas, chantaient et sifflaient, des bâtons à la main, sur l’épaule de longs objets pointus, sans doute leurs arcs ; quatre porteurs s’appliquaient aux brancards d’une civière ; là-dessus des choses vagues sur lesquelles il avait neigé, ustensiles de métal qui s’entre-choquaient, dépouille massive et velue ; et derrière, les chiens muets, passifs, suivant ces chasseurs, attendant leurs restes.

Des hommes d’avant l’histoire peut-être ? Les fils de Caïn fuyant jusqu’au pôle le crime de leur père ? Non, mais des soldats d’aujourd’hui, un détachement de ces éclaireurs qu’on exerce à la marche, au patinage, à la chasse, au bivouac, et qui vont traquant l’ours dans les forêts d’Europe, le tigre sur les frontières